LECHAT (Michel François Paul Marie)

LECHAT, Michel François Paul Marie (Ixelles 30 avril 1927 – La Hulpe 28 février 2014), médecin.

Michel Lechat, né de l’industriel renommé Pierre Lechat (1901-1985) et de Jacqueline Greiner (1905-1987), dont la famille dirigeait les usines de Cockerill de Seraing, entame ses études de médecine à l’Université catholique de Louvain (à l’époque, située à Leuven et à deux régimes linguistiques) immédiatement après la Seconde Guerre mondiale. Au cours de sa dernière année académique, 1951-1952, il effectue un stage de deux mois à la léproserie de Tshumbe Sainte-Marie au Kasaï (actuellement province du Sankuru) dirigée par le Dr. Frans Hemerijckx, pionnier de la lutte contre la lèpre au Congo, dont l’enseignement et l’expérience du travail de terrain le marqueront profondément. Son stage se prolongera au centre anti-lépreux de la Croix-Rouge à Pawa dans l’Uele. Revenu en Belgique, Lechat obtient à l’UCL le diplôme de docteur en médecine, qu’il complètera en 1953 d’une formation à l’Institut de Médecine tropicale (« Prince Léopold ») d’Anvers.

A l’issue de cette formation supplémentaire en médecine tropicale, Lechat est envoyé par l’organisme philanthropique Aide médicale aux Missions (AMM) à la mission catholique d’Iyonda (souvent dénommée « Yonda » à l’époque coloniale), poste des Missionnaires du Sacré-Cœur situé à 20 km de la ville de Coquilhatville (Mbandaka) dans la province de l’Équateur. Lechat y est nommé médecin-directeur de la léproserie fondée en 1945 par les Sœurs de la Congrégation des Filles de Notre-Dame du Sacré-Cœur. Marié depuis le 26 mars 1953 à Édith Dasnoy, fille du peintre et essayiste Albert Dasnoy, il arrive à Iyonda fin-avril 1953, et y sera rejoint par son épouse début mai.

Strictement parlant, il est fonctionnaire-médecin de l'État colonial, affecté par celui-ci et par le biais de l'AMM, au seul service des missions. Comme il le décrit dans ses mémoires, cette constellation provoqua plus d'une frustration tant au niveau du Service médical provincial qu'à celui de la mission et du vicariat, les deux ne se trouvant pas toujours sur la même longueur d'onde. Dans la pratique il ne cessera de chercher l'équilibre et la neutralité les plus favorables pour les malades, « naviguant continuellement », comme il l'écrit, « entre la mission et l'Administration ».

Sous sa direction, la léproserie d’Iyonda, jusqu’alors dépourvue de médecin qualifié, sera professionnalisée et le traitement ajusté au savoir médical de l’époque.

Séparé de la léproserie par une digue de un kilomètre traversant les marais, le petit poste missionnaire d’Iyonda se compose de la maison des Pères missionnaires, du couvent des Sœurs, d’un dispensaire rural, d’une école primaire, d’un atelier de menuiserie, des maisons des infirmiers congolais et de la maison du médecin et sa famille. La cohabitation et la collaboration quotidiennes qu’entretient Lechat avec les Pères et les Sœurs deviennent au cours des années très productives, marquées par un respect mutuel et par un esprit d’équipe et même d’amitié. Lechat et son épouse sont également les invités et les hôtes réguliers du gouverneur de la province de l’Équateur et du Vicaire apostolique à Coquilhatville, ainsi que des linguistes-ethnologues réputés tels que Gustaaf Hulstaert et Edmond Boelaert, missionnaires de la même congrégation à d’autres postes dans la région.

Lorsqu’en février-mars 1959 les missionnaires du Sacré-Cœur acceptent de recevoir l’écrivain anglais Graham Greene, se rendant au Congo dans le but de récolter des idées pour un nouveau roman, le Vicaire apostolique Hilaire Vermeiren lui accorde une chambre dans la maison de ses missionnaires à Iyonda. Greene passe la plupart de ces journées avec le Dr Lechat, observant ses routines quotidiennes et s’engageant dans de longues conversations intellectuelles avec lui. Une amitié profonde s’ensuit, qui perdurera – largement par correspondance – jusqu’à la mort de Greene en 1991. Greene fait figurer Michel Lechat comme le protagoniste « Dr. Colin » dans son roman A BurntOut Case (1960, traduction française La Saison des Pluies), dont le récit se déroule exactement dans une léproserie au Congo belge menée par des missionnaires belges. De surcroît, dans un hommage exceptionnel d’une page entière, le romancier dédie le livre à Lechat. Il assistera aussi Greene, désireux de publier le journal qu’il avait gardé au Congo, à purger le manuscrit de toute description compromettante à l’égard de personnes encore en fonction au Congo, recommandations que Greene suivra à la lettre pour la publication finale (1961, In Search of a Character).

Pendant ces années à Iyonda, Lechat suit de près l’avancement international des connaissances médicales relatives à la lèpre, qu’il préférera toujours appeler par le terme scientifique de « maladie de Hansen ». En 1956, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) lui ayant octroyé une bourse pour se perfectionner en la matière, il effectue un voyage de six mois à travers les léproseries en Afrique, aux États-Unis, le Brésil, le Suriname et la Guyane française. En cette même année, il assiste au Congrès international pour la Réhabilitation des Lépreux, organisé à Rome par l’Ordre de Malte et patronné par le Pape Paul VI. En 1958, il se rend à Tokyo pour assister au Congrès international de la Lèpre.

Au cours de 1959 Lechat accueille à Iyonda la princesse Liliane, fort impressionnée par les réalisations de la léproserie (Léopold III, souffrant, ne pouvait accompagner la princesse). Dans ses mémoires, Lechat se souvient de cette « visite sympathique qui s’est terminée à jouer au vogelpik à la maison des Pères ». Fin 1959, les époux Lechat-Dasnoy, avec les deux enfants auxquels ils ont donné naissance (Marie, 1954 ; Laurent, 1956), rentrent en Europe pour un congé. Les évènements menant à l’indépendance congolaise rendent le congé de la famille Lechat définitif: Lechat ne retournera plus à Iyonda, sauf pour des courtes visites en spectateur intéressé, comme en 1968 à l’occasion d’un séjour à l’Université Lovanium de Kinshasa, et en 1988, profitant d’une autre brève mission au Zaïre. A Iyonda, Lechat fut succédé par le Dr. François Puissant, arrivé peu après le départ des Lechat.

En 1960, nanti déjà d’une réputation internationale de spécialiste de la lèpre, Lechat est recruté par l’université Johns Hopkins aux États-Unis. La famille, élargie de leur troisième enfant (Sylvie) la même année, s’installe à Baltimore. Lechat y est affecté au département de « pathobiologie », où il prépare une thèse de doctorat en épidémiologie, concept qui à l’époque n’était pas encore développé en Europe. Il y obtient le titre de Doctor in Public Health en 1966.

L’OMS l’engage en 1965 en tant qu’épidémiologiste régional pour l’Amérique centrale, opérant pour la zone du Mexique, de Cuba, de la République Dominicaine et Haïti. Il est basé à Mexico, où il vivra avec sa femme et leurs trois jeunes enfants jusqu’en 1967.

De retour en Belgique en 1967, il rejoint son Alma mater l’UCL. Dès le début il combine son poste à cette université avec celui de professeur des cours de santé publique et d’épidémiologie à Amsterdam (1967-1980) et à l’Institut de Médecine tropicale d’Anvers (jusqu’en 1981). L’UCL lui propose tout de suite de participer à la mise sur pied d’une nouvelle École de Santé publique sur le site de Woluwé, et d’y développer un Département d’Épidémiologie et de Médecine préventive. Il devient professeur en 1971 et professeur ordinaire en 1974. En 1978 il crée à l’UCL le Centre for Research on the Epidemiology of Disasters (CRED), qui en 1980 devint un antenne importante de l’OMS et dont Lechat restera le directeur jusqu’à son éméritat en 1992. Sa charge d’enseignement comprend entre autres des cours d’épidémiologie, de santé publique et d’écologie humaine, qu’il octroie tant à la Faculté de Médecine qu’à celle des Sciences appliquées. Du côté de la recherche, Lechat continue à se perfectionner dans le domaine du traitement de la lèpre, menant maintes commissions d’enquête sur le terrain en Amérique latine, en Asie et en Afrique, qu’il va visiter sur place. Mais il continue aussi à s’impliquer dans le domaine de l’épidémiologie et de l’épidémiologie des désastres, et y ajoute encore le domaine des anomalies congénitales. Il déploie ce dernier terrain d’expertise dans le cadre du projet de la Commission européenne dit « Eurocat », défini comme « le Registre européen pour la surveillance épidémiologique des anomalies congénitales ».

Pendant toute sa carrière à l’UCL, et bien après son éméritat en 1992 d’ailleurs, il met son expérience et expertise académiques au service de la communauté internationale et des malades. Au niveau international, il restera un expert for sollicité à l’OMS, à UNAIDS et à la Banque mondiale. De 1974 à 1978 il est président de la commission médicale de la Fédération internationale des Associations de la Lutte contre la Lèpre (ILEP). De 1978 à 1998 il préside l’Association internationale contre la Lèpre (ILA) et à la fois l’Union internationale contre la Lèpre (ILU). De 1994 à 1999 il est membre du comité de gestion de la Sasakawa Leprosy Elimination Fund au Japon, pays avec lequel il a toujours maintenu une étroite collaboration en matière de lutte contre la lèpre.

En Belgique, il est expert auprès du Conseil supérieur de l’Hygiène du ministère de la Santé publique (1972-1993), de l’Administration générale de la Coopération au Développement, de la Fondation Roi Baudouin et de nombreuses ONG. Pendant l’année 1986 il est président du comité d’administration des Amis du Père Damien, actuellement l’Action Damien, et de 1998 à 2002 il préside le Fonds médical tropical (Fometro). Il est élu membre titulaire de l’Académie royale de Médecine de Belgique en 1986 (devenant membre honoraire de celle-ci en 2008) et membre de l’Academia Europaea en 1989. Il devient membre associé de l’Académie royale des Sciences d’Outre-Mer le 1er février 1989, puis membre honoraire associé le 7 avril 1993.

Lechat a été l’auteur et co-auteur de plus de 300 publications scientifiques, dont au moins 200 sur la lèpre. En 1990 le Gandhi Memorial Leprosy Foundation lui attribue, en colauréat avec le Dr R. Wardekar, le Prix international Gandhi. En 1995 le Roi Albert II lui confère le titre de baron. En 2001, il a reçu le prix Damian-Dutton, un prix américain. Sur la médaille, il est inscrit : « He never failed to see the human person behind the mask of leprosy ».

 

Michael Meeuwis

Michael.Meeuwis@UGent.be

21 septembre 2020

 

 

Sources inédites

Les archives personnelles de Michel Lechat ont été déposées et peuvent être consultées au Kadoc, à Louvain (plus d'informations sur le site suivant) : 
https://kadoc.kuleuven.be/5_nieuws/2023/n_2023_0039 
(Version en anglais https://kadoc.kuleuven.be/english/5_news/2023/n_2023_0030).

Sources publiées

a) Publications de Michel Lechat

Deux sélections de sa liste de plus de 300 publications scientifiques médicales peuvent être consultées sur https://www.md.ucl.ac.be/histoire/lechat/lechat-bioeng.html (bas de la page) et sur https://www.ae-info.org/ae/Member/Lechat_Michel/Publications.

Également à noter:

Lechat (M.), Léproserie d’Yonda, Annales de Notre-Dame du Sacré-Coeur,

juillet 1958, pp. 82-87.

Lechat (M.), L’expédition Dutton-Todd au Congo (1903-1905): de Boma à Coquilhatville, Annales de la Société belge de Médecine tropicale, 44,

1964, 3, pp. 493-512.

Lechat, (M.), Rencontre avec Graham Greene au centre de l’Afrique, Bulletin

 de l’Association des Médecins anciens étudiants de l’Université

 catholique de Louvain, 11, 1999, pp. 16-18.

 

b) Autres sources publiées

Travaux scientifiques

Duren (A.), L’Organisation médicale belge en Afrique, Bruxelles, Académie royale des Sciences coloniales, 1953.

Gauthier (F.), Lutte contre la trypanosomiase et la lèpre en Afrique, 1953-1960, Paris, Éditions des Écrivains, 2000.

Kivits (M.), La Lutte contre la lèpre au Congo belge en 1955, Bruxelles, Académie royale des Sciences coloniales, 1956.

Meeuwis (M.), The Furthest Escape of All: Darkness and Refuge in the Belgian Congo, in Stavick (J.) & Wise (J.), eds., Graham Greene Studies, Vol. 1, Dahlonega, University of North Georgia Press, 2017, pp. 56-81.

 

Sur internet
 

Academia Europaea, Michel Lechat Curriculum Vitae, https://www.ae-info.org/ae/Member/Lechat_Michel/CV

Académie royale de Médecine de Belgique, Michel Lechat, http://www.armb.be/index.php?id=858

International Leprosy Association, Lechat, Prof Michel F. Personal Collection. https://leprosyhistory.org/database/archive668?aorp=1&kw=Lechat&bu=%2Fdatabase%2Findex.php%3Faorp%3D1%26kw%3DLechat

Krémer (R.), Interview avec le professeur Michel Lechat, 1ière partie : Ainsi Va La Vie, https://www.md.ucl.ac.be/histoire/lechat/interview48.html

Krémer (R.), Interview avec le professeur Michel Lechat, 2ième partie : Le Retour à l’Alma Mater, https://www.md.ucl.ac.be/histoire/lechat/interview49.html

Lechat (M.), Témoignage vidéo du Docteur Michel Lechat, https://www.memoiresducongo.be/michel-lechat/

Université catholique de Louvain, Un belge et un indien se partagent le Prix International Gandhi 1990, https://www.md.ucl.ac.be/histoire/lechat/prix-ghandi.pdf

 

 

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Tomaison: 

Biographical Dictionary of Overseas Belgians