FUCHS (Félix)

Fuchs, Félix (Ixelles, 25 janvier 1858 – Ixelles, 23 janvier 1928), président du Tribunal d’Appel, gouverneur général de l’Etat indépendant du Congo et du Congo belge

Lors du premier départ de Fuchs pour l’Afrique en 1888, Le Soir publie en première page un portrait flatteur du trentenaire le qualifiant d’« une des personnalités les plus brillantes et les plus sympathiques du jeune barreau bruxellois. » Indubitablement, cet article souligne une certaine réputation dont bénéficie le futur gouverneur dans les milieux de la capitale mais il ne faut pas pour autant se laisser complètement subjuguer. Second fils de Louis Fuchs – un architecte de jardin renommé d’origine prussienne –, il entre à l’Université libre de Bruxelles en 1876, et s’il deviendra effectivement docteur en droit, il est difficile de déterminer s’il a ou non terminé son cursus dans cette université. En effet, il mène ses études de manière dilettantiste puisque, en 1881, il recommence pour la troisième fois son année de doctorat. Avocat près de la Cour d’Appel de Bruxelles, il témoigne d’une certaine éloquence et s’investit au sein du jeune barreau, en particulier dans sa revue Palais. Homme de lettres et des arts, Fuchs est également doté d’une personnalité quelque peu extravagante et très certainement décalée au regard des mentalités militaires qu’il rencontrera en Afrique. Appartenant au monde libéral, il ne fera pas état de ses opinions dans l’exercice de ses fonctions congolaises. Par contre, à certains moments, il sera critiqué pour ses origines familiales allemandes et, dans une moindre mesure, juives.

En vue de sa candidature à l’Etat indépendant du Congo (EIC), il se fait appuyer par le monde juridique de la capitale et notamment par Auguste van Maldeghem, qui est alors en matière de « droit colonial » le plus proche conseiller de Léopold II. À tout le moins, l’enthousiasme ne pointe pas et sans doute Fuchs estime le passage par l’Afrique comme le chemin le plus direct pour obtenir un poste de consul. Ce raisonnement ne lui est pas propre puisque d’autres –  magistrats ou non –  compteront sur leur service africain pour être appuyé par le roi dans leur carrière belge. Somme toute, Fuchs ne dévoile pas ses réelles intentions et la recherche de magistrats est alors une priorité en vue de rendre effectif le troisième pouvoir.

Après un stage au sein du Département des Affaires étrangères de l’EIC, il s’embarque en tant que juge suppléant d’Appel et directeur intérimaire de la Justice. Confirmé dans cette dernière fonction en août 1888, il se trouve à la tête d’une des directions les plus importantes du Gouvernement local, qui a la potentialité d’être autonome de Bruxelles. Sa tâche est loin d’être aisée non seulement par son ampleur mais également à cause de l’hostilité témoignée par certains militaires envers cette institution. Ce premier séjour lui donne aussi l’occasion de participer à la gestion collégiale du Gouvernement local – et ce à travers le Comité exécutif qui assure les prérogatives du Gouverneur en cas de vacance du poste – au moment du décès de l’inspecteur général Henri Gondry. Néanmoins, malade, il regagne le continent européen en juillet 1889.

Repartant fin de la même année, la position de Fuchs s’accroît en importance, d’abord en étant nommé commissaire du roi pour la délimitation de la frontière dans le Bas-Congo avec le Portugal, ensuite en étant désigné comme secrétaire général. Dépêché spécialement en 1890 pour l’établissement des nouveaux impôts, le vice-gouverneur Camille Coquilhat confie toute l’administration locale au magistrat en vue de soulager le directeur des Finances, qui cumulait jusqu’alors les deux fonctions. Cependant, Fuchs se trouve être dépourvu des capacités et de la rigueur nécessaires pour mener à bien sa nouvelle mission. Dès lors, les remarques qu’avaient pu formuler un administrateur dans l’âme tel Gondry sont largement amplifiées par Coquilhat, qui est exténué et doit faire face aux vives réactions des sociétés commerciales. Le secrétariat général est donc retiré à Fuchs qui menace de démissionner. Cependant, le décès inopiné de Coquilhat en mars 1891 change radicalement la donne puisque Fuchs est appelé à la présidence du Comité exécutif.

À son arrivée, le nouvel homme fort de Boma, Théophile Wahis, ne tarit pas d’éloges sur Fuchs, qui l’accompagne dans un premier voyage dans le Mayombe. Lors de celui-ci, prend forme l’idée de la constitution de chefferies indigènes comme échelon administratif. Si un projet est soumis par Wahis au Gouvernement central, la paternité semble bien appartenir à Fuchs. Par ailleurs, la situation politique est jugée satisfaisante par Bruxelles et le duo Wahis-Fuchs – aux profils complémentaires (un militaire et un juriste) – devient la solution pour assurer la permanence du Gouvernement local, résolvant par la même un problème chronique. Attaché au Département de l’Intérieur, Fuchs est élevé en 1892 au rang de directeur général puis en 1893 à celui d’inspecteur d’État. En somme, il figure comme le second du gouverneur et remplace automatiquement celui-ci en cas d’absence ou de vacance, renforçant ainsi la centralisation du Gouvernement local. Fuchs occupe dorénavant une place de choix mais son regard reste braqué sur les possibilités d’une carrière consulaire. En outre, sa situation devient délicate autour de ce qui peut être appelé une « affaire Fuchs ». Cette dernière se déroule en deux temps et sa première phase révèle les tensions entre gouvernance civile et administration militaire. Gouverneur faisant fonction entre septembre 1892 et mai 1893, Fuchs est plongé dans le contexte difficile du conflit armé avec les Arabo-swahilis. Plutôt favorable à la conciliation et à l’action défensive, il tergiverse tandis que les autres inspecteurs d’État impliqués dans les combats cherchent une victoire sans concession. Fuchs ne peut que prendre ombrage des initiatives de l’un des commandants militaires, Edouard Fivé, et le magistrat arrive à lui faire retirer son mandat. Son attitude lui vaut dès lors l’inimitié de hauts gradés (les frères Le Marinel, Francis Dhanis) et l’incompatibilité de caractères avec Wahis se dévoile au jour, tendant les relations avec ce dernier. De manière transitoire, Fuchs est envoyé en mission d’exploration au Mayombe. Après un congé en Belgique, il entame – fort du soutien du secrétaire d’État van Eetvelde – son quatrième séjour à la tête du Gouvernement local (janvier 1894 – octobre 1895). La seconde phase de l’« affaire Fuchs » prend place lorsque celui-ci quitte précipitamment le Congo quelques jours après le retour d’inspection de Wahis. Pourtant, Bruxelles ne l’entendait pas de cette oreille puisque le Gouvernement central voulait qu’il entame une mission sur la répression des abus commis par les fonctionnaires sur les populations locales. Celle-ci  sera différée et s’inscrit suite à l’affaire Stokes-Lothaire – où le commissaire de district a fait pendre le commerçant irlandais Charles Stokes – à propos de laquelle l’indignation des opinions publiques allemande et anglaise dépasse largement la sentence inique pour s’intéresser aux exactions liées à la récolte du caoutchouc.

La carrière congolaise de Fuchs semble être définitivement compromise mais le contexte le sauve une fois encore. Il est dépêché en tant que juge d’Appel en vue du procès en première instance de Lothaire. Le Parquet se montre d’ailleurs frileux à poursuivre le commissaire de district car il s’agit avant tout d’une affaire où l’intérêt de l’État prédomine sur celui de la Justice. Cette fois-ci, Fuchs provoque l’inimitié d’une partie de la magistrature mais contente pleinement Bruxelles. Les réformes qui suivent le procès modifient l’infrastructure judiciaire et font de Fuchs, en tant que président du Tribunal d’Appel, le premier magistrat au Congo. De même rang qu’un vice-gouverneur, il mène par deux fois des missions d’inspection dans le Haut-Congo en avril-août 1897 et en 1900-1902. Toutes deux sont liées à Lothaire, la première étant une conséquence de son procès, la seconde étant provoquée par les exactions commises dans la région de la Mongala par la Société anversoise du commerce dirigée par l’ancien fonctionnaire. Conscient des difficultés de rendre la Justice efficiente, il propose l’établissement d’un service permanent d’inspection et regrette que la législation soit méconnue de la grande majorité des fonctionnaires. En tant que gouverneur, il avait déjà essayé de résoudre ce problème, en 1895, en créant le Recueil mensuel des circulaires, instructions et ordres de service. Il plaide également pour la suppression du droit de police accordé à certaines sociétés concessionnaires. Dans un premier temps, ce droit est effectivement suspendu mais le retrait de l’usage légal de la force contrevient à l’intérêt financier de l’État et sera donc à nouveau octroyé. Ses missions n’ont pas de grande incidence même si la haute magistrature, au tournant du siècle, opte pour une attitude plus ferme. Revenu en 1903 comme gouverneur, il insistera sur la droiture dans l’exercice de la Justice bien que l’année d’après, il loue, dans un rapport public, l’œuvre léopoldienne. Indéniablement, l’opinion d’Albert Thys – entrepreneur colonial et ancien collaborateur de Léopold II – considérant Fuchs comme un carriériste est vraie dans son ensemble.

En 1896, Fuchs avait demandé d’être délivré de toutes tâches administratives mais il revient, dès 1897, à la tête du Gouvernement de Boma jusqu’au mois de mars 1899. En outre, lorsqu’il lui est proposé la seconde mission d’inspection, il rechigne quelque peu préférant la gestion du Gouvernement local. Une vague promesse lui est faite et se concrétise en 1902 malgré l’opinion défavorable du vice-gouverneur Emile Wangermée. Si Fuchs prend la direction à Boma, ce n’est cependant que périodiquement, à savoir : de janvier 1903 à février 1904 et entre avril 1907 et août 1908. Dans les intervalles, des officiers – Paul Costermans, Louis Ghislain et Albert Lantonnois – lui sont préférés. La militarisation du gouvernorat ne s’explique pas in fine seulement par le contexte des expéditions et des conflits mais également par la personnalité de Fuchs qui n’arrive pas à s’imposer.

La reprise du Congo léopoldien par la Belgique ne change pas considérablement la position de Fuchs. Il participe aux travaux en vue de réformer la Force publique et il continue à être chargé provisoirement du Gouvernement local (octobre 1909 – mai 1911). À la démission de Wahis en mai 1912, il devient enfin titulaire du gouvernorat et c’est à ce titre qu’il est présent au Congo lorsqu’éclate le premier conflit mondial en août 1914. La situation est d’autant plus délicate pour un juriste car l’Acte général de Berlin est toujours d’application. S’instruisant auprès de Jules Renkin, Fuchs est placé dans une logique de préservation de la neutralité et la libre-circulation n’est pas remise en cause. Cette option n’est pas comprise par les esprits en ébullition autant en Belgique qu’au Congo qui reprochent à Fuchs son ascendance allemande. Ce n’est pas pour autant que le gouverneur n’agit pas. Il refuse ainsi aux Allemands susceptibles de porter les armes de quitter le territoire congolais. L’entrée des troupes allemandes au Tanganyika met fin à la situation de paix armée mais le mal est cependant fait. Le 1er mars 1915, Jules Renkin ordonne à Fuchs de rentrer en Belgique. Son retour est considéré par certains journaux comme le désaveu de sa politique mais sa démission ne lui est demandée qu’en septembre. Il proteste vivement mais il s’y soumet tout en espérant que ses services seront reconnus. Comme il lui a été promis, il est nommé au sortir de la guerre au Conseil colonial, qui assiste le ministre des Colonies en examinant notamment les projets de décrets. Cependant, l’hommage officiel qui lui est rendu n’est pas à la hauteur de ses espérances et il en restera amer jusqu’à la fin de ses jours.

Pierre-Luc Plasman
5 juillet 2012
Musée royal de l’Afrique centrale (KMMA-MRAC), Tervuren, Archives Félix Fuchs

PIRET (B.), Inventaire des archives de Félix Fuchs (1887-1927) conservées au Musée royal de l’Afrique centrale, 2011. Voir : www.africamuseum.be/museum/collections/archives/docs/ha.01.038-fuchs.pdf

DELLICOUR (F.), Félix Fuchs, in BCB, t. I, 1948, col. 389-394.

VANTHEMSCHE (G.) ed., Le Congo belge pendant la Première Guerre mondiale : les rapports du ministre des Colonies Jules Renkin au roi Albert Ier. 1914-1918, Bruxelles, Commission royale d’histoire, 2009.

GUINAND (M.), Félix Fuchs (1858-1928). Gouverneur Général du Congo belge, mémoire de  licence, Bruxelles, 1994.

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Biographical Dictionary of Overseas Belgians