CORNEVIN (Robert)

 

CORNEVIN (Robert) (PDF format)

Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer de France (Malesherbes, 26.08.1919 – Paris, 14.12.1988). Fils de Maurice, trésorier-payeur général, et de Champeaux, Geneviève, directrice d’école; époux de Réau, Marianne.

 

Robert Cornevin est né le 26 août 1919 à Malesherbes dans le Loiret. Il est cependant issu d’une ancienne famille bourguignonne de Sacy, village du canton de Vermenton où est né Restif de la Bretonne (1734-1806). Il suit les cours de l’école communale dans la banlieue parisienne, puis à Paris. En 1931, âgé de 12 ans, il visite l’Exposition coloniale de Paris qui lui fait découvrir l’Afrique, l’Asie et l’Océanie avec leurs civilisations complexes encore à peu près inconnues. Hanté par la quête constante de la différence, sa vocation vers l’outre-mer s’éveille. Il commence ses études secondaires au Lycée Montaigne et les termine au Lycée Louis-le-Grand où il prépare le concours d’entrée à l’Ecole nationale de la France d’Outre-Mer. Il y est reçu en 1938.

En 1939, il effectue son premier voyage en Afrique du Nord avec une quarantaine de jeunes gens en tant que membre de la Ligue française des Auberges de la Jeunesse fondée par Marc Sangnier pour promouvoir la démocratie et le pacifisme. Du 15 avril 1940 au 31 janvier 1941, il est mobilisé. De mars à octobre 1941, il accomplit un stage au Sénégal. Rentré à Paris, alors occupé par les Allemands, il milite de novembre 1941 à septembre 1942 dans un mouvement de Résistance, «Défense de la France». C’est là qu’il rencontre une jeune étudiante en médecine, Marianne Réau, qu’il épouse le 26 mars 1942 à la mairie du XVIe à Paris. Leur voyage de noces aura lieu à Sacy, à la frange de la Bourgogne. Six enfants naîtront de leur union et huit petits-enfants viendront encore enrichir leur famille.

En 1942, Robert Cornevin sort breveté de l’Ecole nationale de la France d’Outre-Mer. Il est envoyé comme administrateur-adjoint à Djougou au Dahomey (actuel Bénin). En février 1943, il se retrouve sous les drapeaux au bataillon de Kandi, toujours au Dahomey. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il est successivement aspirant, sous-lieutenant, puis lieutenant d’infanterie coloniale. On le retrouve à Alger de septembre à octobre 1943, à Fès, au 5e RTS, de novembre 1943 à janvier 1944, à Djidjelli, au Corps léger d’intervention, de janvier 1944 à avril 1945, et à Ceylan, de mai à septembre 1945. Il conquiert son brevet de parachutiste à Jessore, près de Calcutta, en août 1945.

En octobre 1945, il est envoyé au Cambodge. Nommé en poste à Phnom-Penh, il va durant deux ans y occuper des fonctions de responsabilité: conseiller aux sports et à la jeunesse du Gouvernement cambodgien, puis inspecteur du travail et, enfin, chef de bureau des affaires sociales des dommages de guerre et des crimes de guerre. En juillet 1946, son épouse y crée le service de médecine scolaire. R. Cornevin regagne la France en juillet 1947.

En 1948, à la demande du gouverneur Cedile, il rejoint le Togo et s’installe à Atakpamé avec sa femme. Il va y séjourner huit ans de novembre 1948 à juillet 1956, en tant que chef de subdivision, puis commandant de cercle, puis inspecteur du travail. Homme de terrain et ethnologue, il œuvre en pleine brousse, opère avec doigté dans ses contacts avec les ethnies togolaises, effectue des tournées de recensement, commence à rassembler des traditions orales concernant l’histoire et l’anthropologie, et se met à écrire. En 1954, il présente aux éditions Payot un manuscrit rédigé en collaboration avec son épouse. Ce premier ouvrage, intitulé Histoire de l’Afrique des origines à nos jours, paraît en 1956. A cette époque, il n’existe aucune étude valable sur le sujet. C’est pourquoi ce livre connaîtra un succès considérable et suscitera plusieurs carrières d’historiens africanistes.

En juillet 1956, il quitte le Nord-Togo avec le grade d’administrateur en chef de classe exceptionnelle de la France d’Outre-Mer et rentre à Paris où il va se consacrer à la préparation de ses thèses tout en travaillant comme administrateur civil au ministère de l’Education nationale (1958-1960).

En janvier 1960, il est proclamé docteur ès lettres de l’Université de Paris après avoir soutenu une thèse intitulée Histoire des peuples d’Afrique, où l’on retrouve l’influence de Diedrich Westermann, et une thèse complémentaire sur Les Bassari du Nord-Togo.

En novembre 1960, il entre à la Direction de la Documentation française (Services du Premier Ministre) et devient en juillet 1961, directeur du Centre d’Etudes et de Documentation sur l’Afrique et l’Outre-Mer (CEDAOM) où se trouvait l’ancien fonds de l’«Agence des Colonies» qu’il va enrichir considérablement jusqu’à sa retraite en 1985. Il crée aussi, en 1961, la revue bimestrielle Afrique Contemporaine dont il est le directeur scientifique également jusqu’en 1985.

En 1964, Robert Cornevin est élu membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer. En janvier 1971, il en devient le secrétaire perpétuel. Il y assure la parution des Comptes rendus trimestriels de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, devenus Mondes et Cultures, et d’un dictionnaire biographique en plusieurs volumes Hommes et Destins qui rassemble des notices permettant de retracer la carrière et les écrits des personnalités européennes et autochtones qui ont marqué la vie des pays d’outre-mer et l’action des Français dans le monde.

En 1971 également, Robert Cornevin est nommé président de l’Association des écrivains de langue française (mer et outre-mer) (ADELF). Il y anime la revue Lettres et Cultures de langue française où il milite pour la «francophonie» et encourage les jeunes écrivains d’expression française par la création de quinze prix littéraires annuels. En 1989, l’ADELF comptait 2 600 adhérents appartenant à 75 nationalités !

Outre ces importantes fonctions, il assure plusieurs enseignements dans des institutions universitaires (Institut international d’Administration publique, Centre des Hautes Etudes pour l’Afrique et l’Asie modernes, Centre de Formation des Journalistes, Centre de Littérature francophone de Villeneuve à l’Université de Paris XIII). Il est aussi professeur-visiteur à l’Ecole nationale de Droit et d’Administration de Kinshasa (ENDA), à l’Université de Montréal et à l’Université Laval au Québec. Il participe encore à de nombreux colloques et congrès africanistes et donne de multiples conférences en France et en outre-mer.

Durant cette période, il écrit plusieurs ouvrages, dont une importante Histoire de l’Afrique en trois volumes: le premier tome va des origines au XVIe siècle; le deuxième est consacré à l’Afrique précoloniale de 1500 à 1900; le troisième envisage la colonisation, la décolonisation et les indépendances. Il s’y efforce de condenser les événements, d’en retenir les caractères dominants et d’embrasser l’ensemble des faits dans une évolution aussi continue que possible. Il parvient ainsi à clarifier, à intégrer et à résumer d’une manière rationnelle les résultats des travaux antérieurs. Il met l’accent sur les données concrètes qui lui paraissent essentielles et comble provisoirement les lacunes de sa documentation en se fondant sur des hypothèses raisonnables. Son histoire se fonde sur la primauté de l’événementiel. Les pôles de l’analyse restent essentiellement politiques et institutionnels. Il aborde les documents ― tant sources écrites que traditions orales ― sans parti pris. Dans l’éclairage qu’il donne aux événements, il manifeste sa fidélité à la France et à son œuvre colonisatrice sans considérer, toutefois, notre modèle de société comme le seul acceptable.

Il a également rédigé plusieurs monographies sur le Togo, le Bénin et le Zaïre (actuelle RDC). La quatrième édition revue et augmentée de son Histoire du Zaïre des origines à nos jours, sortie aux éditions Hayez à Bruxelles en 1989, évoque le cadre, la préhistoire, le peuplement, la période précoloniale, les explorations européennes, Léopold II, l’Etat Indépendant du Congo (1885-1908), le Congo belge (1908-1960), la marche vers l’indépendance (1956-1960) et le Zaïre indépendant. Robert Cornevin estime que «son livre aura rempli sa tâche, s’il fait prendre conscience aux Zaïrois de la valeur et de l’intérêt de leur histoire, s’il remet à sa juste place, hors de toute pression, l’œuvre belge au Zaïre, et s’il montre aux étrangers, investisseurs, coopérants ou visiteurs, les richesses du pays et ses valeurs de culture».

Robert Cornevin a encore publié des ouvrages sur les littératures et le théâtre en Afrique noire, à Madagascar et à Haïti. Il avait aussi témoigné sa passion pour son terroir bourguignon ― ne passait-il pas toutes ses vacances dans sa maison du Vermenton ― en écrivant un petit livre passionnant sur Maurice Boujat et le patois de Sacy paru à Dijon en 1980.

Son dernier livre, paru peu après son décès aux éditions Tallandier, a pour objet La France et les Français Outre-Mer, de la première croisade à la chute du Second Empire.

A son œuvre d’historien, il faut lier le nom de son épouse, Marianne Cornevin née Réau, docteur en médecine, sa fidèle compagne et collaboratrice sur le terrain comme dans ses ouvrage historiques, qui a elle-même rédigé des études de grande valeur sur l’histoire contemporaine de l’Afrique, sur l’apartheid en Afrique du Sud et sur l’archéologie africaine à la lumière des découvertes récentes.

Robert Cornevin avait aussi participé à une dizaine d’ouvrages collectifs et écrit plus de cinq cents articles sur le continent africain. Indépendamment des prix décernés à ses ouvrages par l’Académie française et l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, il avait obtenu en 1966 le prix René Caillé de la Société de Géographie commerciale pour l’ensemble de son œuvre.

Il avait été élu membre correspondant de l’Académie malgache et membre correspondant de la Classe des Sciences morales et politiques de l’Académie Royale des Science d’Outre-Mer en 1972. Il était membre du comité directeur de la Société française d’Histoire d’Outre-Mer, de l’Association des historiens et géographes de langue française, de l’Institut international pour l’étude des civilisations différentes (INCIDI) à Bruxelles, de l’Association internationale de la presse pour l’étude des problèmes d’outre-mer (AIPEPO), de la Ligue maritime et d’outre-mer (LMO), de l’Association France-Québec et de l’Association France-Haïti.

Il était encore membre de la Société d’Histoire moderne et contemporaine, de la Société d’Histoire du Protestantisme français, de la Société des Africanistes, de la Société des Sciences historiques et naturelles de l’Yonne, de la Société de Géographie commerciale et du International African Institute à Londres.

Officier de la Légion d’Honneur et chevalier des palmes académiques, il avait obtenu la Médaille coloniale avec agrafe «Extrême-Orient», la médaille commémorative de la guerre 1939-1945 et la Croix du Combattant volontaire de la Résistance. Il était également titulaire de nombreuses décorations africaines.

Robert Cornevin était un homme de contact, toujours disponible en dépit de ses activités intenses et multiformes. Il était discret, perspicace, mesuré, pragmatique et très généreux, partisan du dialogue des cultures et de la reconnaissance de la dignité d’autrui. Il militait pour la francophonie, fasciné par la diversité des civilisations reliées par la langue française. C’était un créateur, mais aussi un découvreur de talents, qui aimait guider, conseiller, aider et partager avec ses semblables. Il était doué d’une puissance de travail et d’une énergie étonnantes. Il s’était investi corps et âme dans le monde africain dont il voulait valoriser l’héritage culturel.

Le 14 décembre 1988, la mort devait l’emporter inopinément dans sa 70e année et il fut inhumé, conformément à son vœu, dans le petit cimetière de Sacy. Ses amis garderont sa mémoire, celle d’un homme de cœur et d’un esprit de qualité, celle d’un grand humaniste toujours à l’écoute du monde, fidèle à la devise de son Académie des Sciences d’Outre-Mer: «Savoir-Comprendre-Respecter-Aimer». Son univers fut celui de Léopold Sédar Senghor, ouvert à tout humanisme, mesurant la dimension réelle des événements et s’enrichissant sans cesse au contact des cultures du passé et du présent.

             

24 octobre 2004.
   P. Salmon (†).

 

Sources: Salmon, P. 1991. Robert Cornevin (1919-1988). Bull. Séanc. Acad. R. Sci. Outre-Mer, 36 (1): 62-68.

 

Affinités : P. Salmon était un ami personnel de l’intéressé et, comme lui, membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer de France et membre du Jury du Prix littéraire France-Belgique.

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Académie Royale des Sciences d'Outre-Mer
Biographie Belge d'Outre-Mer,
T. IX, 2015, col. 62-66