LINDEN (Jean)

LINDEN, Jean (Luxembourg, 3 février 1817 - Bruxelles, 12 janvier 1898), "Père des orchidées", explorateur, précurseur en culture de plantes exotiques et publiciste. [1]

Son père Antoine Linden (Luxembourg, 1789-1817), horloger, meurt trois mois après sa naissance. Sa mère Marie Becker (1791-1834) épouse François Schlim, horloger (né en 1791). De ce milieu d’artisans qualifiés et indépendants Linden garde rigueur et précision scientifiques.

Il étudie à l’Athénée royal de Luxembourg, développe très jeune un goût pour la botanique et herborise avec François Tinant (1803-1853), professeur à l’Athénée de Luxembourg et Jean-Baptiste Nothomb (1805-1881), homme politique. Attiré par la Belgique indépendante (1830), il s'inscrit le 2 février 1834 parmi les 96 premiers étudiants à l’Université libre de Belgique (ULB) à Bruxelles. Les cours de géologie, géographie, zoologie et botanique seront donnés par Jean Kickx (1803-1864).

En 1835, la Belgique, poussée par les progrès techniques, scientifiques, la conquête économique, et pour s'aligner sur les autres pays européens, crée des institutions d’études scientifiques et entame des missions d'exploration en sciences naturelles. Barthélémy de Theux de Meylandt (1794-1874), chef du gouvernement belge, adjoint une mission scientifique à la délégation commerciale envoyée au Brésil.

L'Académie royale des Sciences, Barthélémy Dumortier (1797-1878), premier président de la Société royale de botanique et fondateur du Jardin botanique de Bruxelles, Philippe Vandermaelen, géologue, et son frère Jean-François, botaniste, qui avaient créé l’Etablissement géographique de Bruxelles,  Jean-Baptiste Meeus et Jean-Baptiste Nothomb, chargés de désigner un chef de mission, choisissent Jean Linden, "brillant élève" de dix-huit ans. Il n'a fait qu'une année académique mais a le profil du voyageur naturaliste. L'aventure et les découvertes l'attirent, il accepte et est autorisé à engager deux accompagnateurs : le dessinateur, ami et futur beau-frère, Nicolas Funck (Luxembourg, 1816 – Luxembourg, 1896), et le zoologue Auguste Ghiesbreght, (Bruxelles, ±1810 - San Cristóbal, 1893). Certains négociants et banquiers, membres de la Société royale d'Horticulture, soutiennent l'expédition pour des objectifs commerciaux. 

Linden mène trois expéditions en Amérique du Sud entre 1835 et 1845. Nous n’avons pas trouvé d’ordre écrit pour cette mission "officielle" au Brésil (1835-1837). A Rio de Janeiro ils sont accueillis par Adolphe Tiberghien, consul belge, et Benjamin Mary (1792-1846), premier représentant de la Belgique au Brésil, envoyé pour mettre au point le traité de commerce avec le Brésil. Ils explorent ensemble les Etats de Rio de Janeiro, de Espéritu Santo et de Minas Gerais, puis Linden poursuit seul, à cheval, des expéditions dans les Etats de São Paulo et Santa Catarina. Funck rédige un ample rapport contenant découvertes et anecdotes. [2]

Au retour, l'accueil est enthousiaste ; les trois explorateurs sont reçus par le roi Léopold Ier et la reine Louise au Palais royal. Dumortier réceptionne lettres et caisses d’objets d’histoire naturelle et partage les cinq mille plantes vivantes ramenées entre l'Université de Gand et celle de Liège. Il ne subsiste que peu de traces des retombées scientifiques et de la qualité des collections mais l'Académie est positive et suggère de nouveaux subsides.

L'objectif de la mission Cuba-Mexico (1837-1841) est plutôt industriel et commercial. Funck et Ghiesbreght l'accompagnent. Embarqués au  Havre, ils arrivent à La Havane où, après une courte exploration, l'ordre leur est donné de rejoindre la mission diplomatique au Mexique. L'exploration étant rendue difficile tant par la guerre, que par les finances et la maladie de Linden (il souffre de vomito negro), une année supplémentaire est nécessaire, rendant le considérable budget prévu insuffisant.

L'itinéraire, longtemps gardé secret pour cause d'espionnage botanique a récemment été reconstitué par une descendante, auteur de cette notice. Elle s’est basée sur les lieux de récolte mentionnés sur les feuilles d’herbier pour ensuite marcher sur les pas de son trisaïeul au Mexique. [3]

Le blocus des ports mexicains rend l'envoi de produits récoltés difficile, beaucoup de plantes périssent. Aucun rapport écrit n’est connu à ce jour ; cependant, l'Herbier du Mexique envoyé par Linden du Mexique (1837-1841) a été retrouvé et identifié en 2006. [4]

Au retour, les scientifiques sont enthousiastes et la presse est élogieuse mais le ministère, s’estimant dupé financièrement,  est mécontent des résultats. 

Durant ces explorations, grâce à sa recherche systématique et son organisation rationnelle, Linden comprend l'importance des conditions climatiques des plantes tropicales. Il annonce  par là une ère nouvelle dans la culture de plantes exotiques.

S'apprêtant pour sa troisième expédition, Venezuela-Colombie 1841-1844, Linden se tourne vers la France et rencontre à Paris des scientifiques et des hommes d'affaires, notamment Emile Planchon, Joseph Decaisne, Alexander von Humboldt, Benjamin Delessert, Jean-Pierre Pescatore. Le Muséum d'Histoire Naturelle l'engage aux conditions strictes de : "recevoir et acquérir toutes les espèces trouvées par Linden, envoyées au Muséum" (7 mars 1841). De peur de perdre son explorateur, la Belgique accorde deux mois plus tard un subside et formule des conditions semblables aux françaises.

Louis-Joseph Schlim, demi-frère de Linden (Luxembourg, 1819 - Paris, 1863), l'assiste à titre personnel. Parti de Bordeaux, il atteint La Guayra le 27 décembre 1841. Lettres et envoi de matériel vers Bruxelles et Paris permettent d'établir l'itinéraire de Caracas jusqu'au Pacifique, ainsi que le retour par la Jamaïque, Cuba, États-Unis. Le courrier abondant s'adressant à Nothomb détaille déboires, réussites et admiration devant la nature et les plantes découvertes. Le rapport sur ce voyage, qui lui était imposé par l'ordre de mission en 1841, sera  publié en 1846. [5]

Linden se retire ensuite à Luxembourg, où il passe l'hiver 1844-45, affaibli par dix années d’expéditions. Conscient de l’importance de ses découvertes, il pressent que l'orchidée suscitera passion et convoitise et en envisage l'exploitation commerciale. Il met en pratique les leçons tirées de l'observation de ses conditions de croissance uniques et spécifiques. Certaines orchidées poussent en altitude dans des régions tropicales mais froides ; leur culture en Europe exige des conditions de chaleur, d'humidité et de lumière précises. La construction de grandes serres ventilées s'impose et justement le progrès technique de l'époque permet ces constructions. La culture à échelle industrielle est ainsi lancée.

Le 13 octobre 1845 il épouse Anna Reuter (Luxembourg, 1820-Bruxelles, 1903).  Le couple aura six enfants: Auguste (Luxembourg, 1849-1894), Lucien (Ixelles, 1853-Waetermael-Boitsfort, 1940), Gaston (Bruxelles 1860- Bourg-la-Reine, 1949), Adrienne (Luxembourg 1846), Alice (Luxembourg 1848), Valérie (Schaerbeek 1851-Boitsfort 1944).

Soutenu par les banquiers et industriels dont on ne peut avec certitude affirmer l’identité, il crée un premier établissement horticole au Limpertsberg, un quartier de Luxembourg, basé sur la vente de plantes ramenées et les récoltes de Funck et Schlim envoyées en expédition au Venezuela et en Colombie. [6]

Sa réputation scientifique est assurée par la publication de John Lindley (1799-1865), autorité mondiale sur les orchidées, l’Orchidaceae lindenianae, 1848, "description des nouvelles orchidées découvertes par Linden".

En 1850, il quitte Luxembourg, s'installe à Bruxelles, transfère ses plantes dans des serres, installées chaussée de Schaerbeek, et le 30 août 1851, il est nommé directeur scientifique du Jardin zoologique du parc Léopold. Le parc donne accès aux serres d'orchidées cultivées en fonction de leur climat particulier. L’architecte Alphonse Balat (1818-1895) y construit la "serre couronnée" pour abriter la Victoria regina (actuellement Victoria amazonica).

Les entreprises se développent à Bruxelles, rue Wiertz ; la maison d’habitation de Linden, ses serres et son jardin d’hiver abritent palmiers, fougères arborescentes. Avec ses douze cents espèces d’orchidées, c’est la collection la plus riche au monde. L’extension d’abord à Gand (1869), capitale belge de l'horticulture, se poursuit ensuite à Paris, l’Italie, la Côte d'Azur et l’île du Levant.

La demande de plantes devenant énorme, les prix exorbitants, nouveauté et rareté primant, l'importation massive s'impose. Linden finance des expéditions et dirige ses collecteurs sur les lieux grâce à son extraordinaire mémoire des lieux. Pourtant, dangers et déboires guettent : certaines plantes sont avariées par manque d'air dans les caisses de transport, ou bien un collecteur ne suit pas l’itinéraire tracé et dès lors ne trouve pas les plantes recherchées. On ressent également la concurrence d’autres firmes, il arrive qu’un confrère offre aux collecteurs des honoraires plus attrayants. Enfin, un collecteur disparaît dans la nature avec argent, armes et bagages, tandis qu’un autre meurt dans une attaque.

Les explorations à charge de Linden peuvent se diviser en trois vagues menées par Schlim, Gustave Wallis, Joseph Libon, Benedict Roezl, Emile Rodigas, Isidore Pancher, L.Demaerschalk, Edouard André, Auguste De Ronne, Fernand Demeuse, C.Ellner, Erich Bungeroth, Arnold Klaboch, Florent Claes.

1. 1845-1857 : Schlim et Funck visitent les lieux déjà explorés.

2. 1858-1877 : des collecteurs anglais explorent de nouveaux lieux en Amérique latine.

3.1878-1896 : différents collecteurs explorent la Nouvelle-Calédonie, les îles Fidji, la Papouasie, la Nouvelle-Guinée, les Célèbes, la Malaisie, les Moluques. Auguste Linden explore le Congo (1885), en partenariat avec Édouard Otlet (1842-1907), sénateur, homme d'affaires, père de Paul Otlet, époux de Valérie Linden.

Le fait d'être nommé consul général de Nouvelle-Grenade (Colombie) (1862) et consul du Grand-duché de Luxembourg (1869), est un atout pour l'importation et le commerce de plantes.

Linden se fait connaître parmi horticulteurs et collectionneurs par ses publications. Le premier des 89 catalogues identifiés (1847-1900), publié à Luxembourg, dit "fournir aux botanistes des plantes sèches, aux amateurs et horticulteurs des plantes nouvelles ou rares de serre chaude et de serre froide, déterminées par des experts".

Les œuvres maîtresses de Linden sont La Pescatorea (1854-1860 ?) et Lindenia (1885-1906). La Pescatorea décrit les orchidées rares dans les serres du collectionneur et mécène Jean-Pierre Pescatore. Le décès prématuré de Pescatore en arrête financement et publication après un volume. Les planches originales restent introuvables. Lindenia  (1885-1906) contient des centaines de planches illustrées, des descriptions et des conseils de culture. Moins élitaire et plus pratique, L'Illustration horticole (Gand, 1854-1896) s’adresse surtout aux horticulteurs.

A partir de 1864 (à Bruxelles), les congrès scientifiques s'organisent et favorisent l'entretien de relations même jusqu'en Russie. Les botanistes Philipp von Siebold, Adolphe Brongniart, Planchon, Heinrich Reichenbach et Edouard von Regel sont présents garantissant la fourniture d'herbiers et plantes aux institutions botaniques. Linden entretient une correspondance fournie dès 1841 avec William Hooker, directeur de Kew Gardens.

Collectionneurs et amateurs se retrouvent dans les sociétés d’horticulture: Floralies de Gand (mars 1839), Société royale de Flore e.a.; les expositions internationales favorisent l'introduction de plantes exotiques sur le marché européen.

Retiré de la direction, Linden poursuit étude et culture des orchidées dans ses serres «secrètes» et voyage en pensée avec les collecteurs et spécimens tropicaux envoyés.

Il a su attirer une clientèle d'élite: industriels, financiers et les cours royales européennes. Des habitués provenant de la haute société industrielle et politique, comme Georges et Raoul Warocqué, le baron Henri de Meeûs, le comte Adrien d’Oultremont, Bernard du Bus de Gisignies, le baron Gerson de Bleichröder, consul général de S.M.Britannique,  Johan van Lansberge, diplomate, lord William Cavendish, Sigismund Rücker, et le révérend John Clowes,  Certains d’entre eux siègent au conseil d'administration des sociétés anonymes constituées et gérées par les Linden (dont ses fils Lucien et Auguste, qui assureront la continuité jusqu'à la Grande Guerre), notamment la Compagnie Continentale d’horticulture S.A. (1881), Horticulture Internationale S.A. (1887), la Compagnie Méridionale d’Horticulture S.A. (1888) et l’Horticole coloniale (1901).

Linden, grand cultivateur de plantes, a adapté les serres aux besoins des plantes importées et a toujours été très proche des travaux des scientifiques. Il se place parmi les pionniers de l’horticulture belge, notamment avec Louis Van Houtte et Verschaffelt, qui ont rendu les plantes exotiques à la portée du grand public européen.

L'art et la littérature de la fin du siècle et l'Art Nouveau se sont inspirés de l'engouement pour la flore exotique; Proust créa même l'expression "faire Cattleya".

Aux funérailles de Jean Linden, le 14 janvier 1898, la présence des délégués de la cour royale et de hauts dignitaires politiques et scientifiques témoignent du respect et de la considération dont il jouissai.

Son buste, œuvre d'Alphonse de Tombay, est orné d'orchidées et de plantes exotiques, hommage posthume érigé à l'initiative d’ Oswald de Kerchove de Denterghem au parc Léopold, face à la maison du directeur à l'ombre du Parlement européen.

 

Nicole Ceulemans, BA
28 avril 2014
info@jeanlinden.com

 

Sources publiées

a) Publications de Jean Linden :

Linden  (J.), Relation d’un voyage scientifique exécuté par M.J.Linden, sous les auspices du gouvernement belge, (…) pendant les années 1841 à 1844 ; rapport présenté à M.Sylvain Van de Weyer, ministre de l’intérieur. in Moniteur belge, 10 mai 1846, Supplément n° 130, pp. 1159-1168.

Linden (J.), Pescatorea Iconographie des Orchidées, Bruxelles, 1854-1860.

Linden (J.), Hortus lindenianus. Recueil iconographique des plantes nouvelles introduites par l’établissement de J. Linden au Jardin royal de Zoologie et d’Horticulture à Bruxelles. Bruxelles, Hayez, 1859-1860.

Linden (J.), Lindenia, Iconographie des Orchidées, 17 volumes de douze fascicules chacun, Gand, imprimerie Eug. Vanderhaegen, 1885-1906. A partir de 1895 l’édition est continuée par Linden (L.) & Rodigas (E.).  

Linden (J.), Catalogues ou prix-courants (1847-1900), certains illustrés en couleur par F. De Tollenaere.  Continuées par Linden (L.).

Linden (J.), L'Illustration horticole. Présentation des plus remarquables plantes, introductions nouvelles, Gand-Bruxelles, 1869-1896.

 

b) Autres sources publiées:

Lindley (J.),  Orchidaceae Lindenianae, London, Bradbury & Evans, 1846.

Planchon (J.E.),  Linden (J.), Preludia florae colombianae.  Bruxelles, Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, 1853. Sous-titre: Matériaux pour servir à la partie botanique du voyage de J. Linden

Linden (J.) & Planchon (J.E.), Plantae colombianae, (Troisième voyage de J. Linden), Bruxelles 1874-1875, Première partie, tome I. Planches d’herbier de Linden (1840-1844), de Funck et Schlim (1845-1847), Funck (1840-1843), Schlim (1848-1853).

 

Travaux scientifiques

Ceulemans (N.), Linden, explorateur, père des orchidées, Bruxelles, Fonds Mercator, 2006.

Pynaert (L.) & De Wildeman (E.), Linden (Jean-Jules), in Bibliographie Coloniale Belge, tome 1, 1948, col. 603-607.

 


[1]Toutes les données se rapportant à cette notice sont basées sur l’ouvrage “Linden, Explorateur, Père des Orchidées, de Nicole Ceulemans.

[2]Funck, Nicolas, Reiseerinnerungen, Meine erste Seereise, Luxembourg, 1910.

[3]Ceulemans, Nicole, Voyages au Mexique, 2002 et 2003.

[4]"Herbarium discovery of the year”, P. Stoffelen, P. Bamps & E. Robbrecht, 2006.

[5]Pages manuscrites, Archives Générales du Royaume, Inventaire T015, nr. 241.

[6]Les noms de Pescatore, Delessert et Nothomb sont avancés.

 

Tomaison

Biographical Dictionary of Overseas Belgians