ROGISSART, Jeanne (Philippeville, 9 février 1885 – Ixelles, Bruxelles, 29 mars 1947), philanthrope.
Fille de Numa Rogissart, officier supérieur de l’armée belge, et d’Elise Dubois, Jeanne Rogissart fait des études d’institutrice primaire à l’Ecole normale de l’Etat à Bruxelles. En 1911, elle épouse Louis Saroléa, commissaire de district, qui a débuté sa carrière au Congo dès 1897. Le couple part pour la colonie belge en octobre 1911 et s’installe à Coquilhatville (Equateur), puis à Lusambo (district du Lualaba-Kasaï), où Saroléa vient d’être muté. Après la naissance d’un petit garçon, les Saroléa rentrent en mars 1914. Dès août 1914, Jeanne Rogissart perd son époux, grièvement blessé sur le champ de bataille.
Après la guerre, elle se consacre aux questions coloniales avant d’épouser en secondes noces Georges Van der Kerken, ancien magistrat du Parquet au Katanga, ancien commissaire général de la province de l’Equateur, ethnologue et professeur d’université à Gand et Anvers. Elle se consacre pleinement à des œuvres sociales coloniales, orientées vers l’enseignement et la culture. Elle est notamment membre, vice-présidente, puis présidente du comité de l’Association des écrivains coloniaux.
En tant que diplômée en pédagogie, Jeanne Rogissart se montre particulièrement intéressée par la formation des femmes, et plus spécifiquement celle des Congolaises. En 1922, elle donne une conférence sur « La femme noire et nous » devant la Ligue belge du droit des femmes. En 1926, elle fonde l’asbl « Pour la Protection de la Femme indigene », dont elle est également la présidente. Cette organisation vise l’éducation de futures épouses d’évolués et la prévention des dangers moraux qui guettent les femmes arrachées au milieu coutumier. Jeanne Rogissart réclame notamment l’interdiction des maisons de tolérance dans la Colonie, signalant en 1928 que le plus grand camp militaire de Léopoldville compte 21.500 hommes pour 5.000 femmes, dont seules 358 vivent en ménage régulier.
Dans la foulée, elle rédige une étude sur « L’éducation et l’instruction de la femme indigène », dans laquelle elle martèle l’importance de l’éducation féminine en colonie. Elle y dresse le bilan des politiques d’éducation des femmes colonisées dans divers empires coloniaux (Indes néerlandaises, colonies britanniques, colonies françaises, Congo belge et Ruanda-Urundi), avant d’avancer des pistes d’amélioration en termes de programmes, de recrutement des enseignantes et des élèves, de langue d’enseignement, etc.
En tant que vice-présidente de l’Association des écrivains et artistes coloniaux de Belgique, organe créé en 1925 pour promouvoir l’art colonial, Jeanne Rogissart prend la parole lors de la Semaine coloniale qu’elle organise en 1927 et lance un concours ouvert aux écrivains et illustrateurs intéressés par la publication de fascicules de propagande coloniale visant les enfants congolais. Mais elle déploie également ses activités dans divers comités liés à des organisations coloniales. Outre les associations susmentionnées, elle fait en effet également partie du conseil d’administration de la Ligue pour la protection de l’enfance noire.
En 1932 soutenue par le ministère des Colonies, elle est à l’initiative de la création de l’Association de la protection des mulâtres (APCM), dont elle devient la vice-présidente. Cet organe, lié à l’Union des femmes coloniales, vise à encadrer les métis en Europe et au Congo afin de les soustraire à l’influence du milieu africain. En octobre 1935, dans le cadre de l’Exposition universelle de Bruxelles, l’APCM organise un Congrès international pour l’étude des problèmes résultant du mélange des races. Jeanne Rogissart y expose la situation des métis en Belgique. La même année, elle adresse au Comité permanent du Congrès colonial national un rapport sur « La question du perfectionnement matériel et moral de la femme indigène ». En 1940, Jeanne Rogissart présente à Bruxelles un rapport sur « Les œuvres sociales et humanitaires au Congo belge » lors de la 5e session du Congrès colonial national.
Jeanne Rogissart donne également des cours aux futures partantes dans le cadre des sessions de formation sociale coloniale à Bruxelles, ainsi qu’à l’Ecole de médecine tropicale. Elle déploie son action aussi bien dans des cercles d’intérêt collectifs (Association des écrivains et auteurs coloniaux, Union des femmes coloniales) que dans le domaine philanthropique (envers les femmes colonisées et les métis).
Anne Cornet
Musée royal de l’Afrique centrale
26 août 2014
anne.cornet@africamuseum.be
Sources publiées
a) Publications de Jeanne Rogissart
Saroléa (Mme J.), Soyons raisonnable !, in Bulletin de l’Union des femmes coloniales, mars 1924.
Van der Kerken-Sarolea (Mme), L’instruction et l’éducation de la femme indigène, Bruxelles, Essor colonial et maritime, 1927.
Van der Kerken-Saroléa (Mme), Une initiative heureuse de l’œuvre de protection de la femme indigène, in L’Essor colonial et maritime, 11 août 1927.
Van der Kerken-Saroléa (Mme), Rapport présenté devant l’assemblée générale de l’œuvre de protection de la femme indigène, in L’Essor colonial et maritime, 22 décembre 1927.
Van der Kerken-Sarolea (Mme G.), La femme indigène à Kinshasa, in L’Horizon colonial, 25 février 1928.
Van der Kerken-Sarolea (Mme), La protection de l’enfance indigène, in Revue internationale de l’enfant, mai-juin 1929.
Rapport de madame Saroléa sur la question du perfectionnement matériel et moral de la femme indigène adressé au Comité permanent du Conseil colonial national, 1935, archives africaines (aa), Bruxelles, Fonds Affaires indigènes, dossier AI 1394.
Van der Kerken-Sarolea (Mme), Les métis en Belgique, in Compte-rendu du Congrès international pour l’étude des problèmes résultant du mélange des races, Bruxelles, Exposition 1935, pp.76-91.
Van der Kerken-Sarolea (Mme), Les œuvres sociales et humanitaires au Congo belge, in Rapport du Congrès colonial national, 5e session, Bruxelles, 1940, n°15.
Bibliographie
Jadot (J.-M.), Saroléa Louis, in Biographie coloniale belge, Vol. VI, Bruxelles, ircb, 1968, c. 865-869.
Jacques (C.) & Piette (V.), L’Union des femmes coloniales (1923-1940). Une association au service de la colonisation, in Hugon (A.), ed., Histoire des femmes en situation coloniale : Afrique et Asie, XXe siècle, Paris, Karthala, 2004, pp. 95-117.
Jacques (C.) et Piette (V.), La femme européenne au Congo belge : un rouage méconnu de l’entreprise coloniale. Discours et pratiques (1908-1940), in Bulletin des séances de l’arsom, Vol. 40, 2003, n° 3, pp. 261-293.
Jadot (J.M.), Rogissart Jeanne, in Biographie belge d’Outre-mer, Vol. 6, Bruxelles, arsom, 1968, c. 865-869.
Jeurissen (L.), Les ambitions du colonialisme belge pour la ‘race mulâtre’ (1918-1940), in Revue belge d’histoire contemporaine, Vol. 32, 2002, n° 3-4, pp. 497-535.
Piette (V.), Rogissart Jeanne, in Gubin (E.), Jacques (C.), Piette (V.) & Puissant (J.), eds., Dictionnaire des femmes belges, 19e et 20e siècles, Bruxelles, Racine, 2006, pp. 484-485.
Biographical Dictionary of Overseas Belgians