GHIESBREGHT (Auguste)

GHIESBREGHT, Auguste (Bruxelles, 10 mars 1812 – San Cristóbal de las Casas (Mexique), 7 février 1893), voyageur naturaliste, zoologiste, botaniste

Boniface Augustin Lucien Ghiesbreght naît à Bruxelles le 10 mars 1812, dans un milieu cultivé. Son père se nomme Philippe-Joseph, il est professeur ; sa mère s’appelle Jeanne Bigaré. Autour du berceau, son grand-père, Michel-Gilbert Ghiesbreght, horloger réputé de Bruxelles, son oncle Jean-Baptiste, horloger également, qui demeuraient au Marché aux Fromages. Pas bien loin de lui, son grand-oncle Michel Ghiesbreght (1741-1827), vénérable professeur de mathématiques. Auguste a 3 ans lorsqu’il perd sa mère. Son père dirigeait alors un pensionnat de bonne renommée au Marché au Charbon.

En 1824, Auguste Ghiesbreght obtient une bourse pour l’Athénée royal de Bruxelles. Il s’y montre bon élève. Tout en poursuivant ses humanités, à l’âge de 14 ans, le jeune garçon se joint à l’équipe de dessinateurs, graveurs et autres imprimeurs lithographes, qui confectionnait le premier ouvrage cartographique de Philippe Vandermaelen (1795-1869), l’Atlas universel, terminé en 1827. Il travaille sous la houlette de son oncle, Henri-Jean Ghiesbreght (1798-1869), alors dessinateur chez le cartographe. Sur les grandes feuilles de l’atlas, le jeune homme découvre le monde, les océans interminables, les terres méconnues, les îles perdues. Après ses humanités, il est probable qu’il étudie et travaille à l'Etablissement géographique de Bruxelles de Vandermaelen. Il y bénéficie en tout cas de l’enseignement du docteur François-Joseph Meisser (1793-1867) qu’il rejoint à l’Université de Bruxelles en 1834 où il s’inscrit à la faculté des sciences. [1] Il se trouve sur les mêmes bancs qu’Achille Deyrolle (1813-1865), autre élève de l'Etablissement qui vient de rentrer du Brésil, et que Jean Linden (1817-1898), avec lequel il partira bientôt en expédition vers l’Amérique du Sud.

C’est en qualité de naturaliste zoologiste qu’en 1835, après une année passée à l’Université, Auguste Ghiesbreght est appelé à accompagner Jean Linden, François Gheude (1815- ?) et Nicolas Funck (1816-1896) au Brésil dans une expédition financée par le gouvernement belge, avec le soutien, dans une mesure que nous n’avons pu précisément déterminer, de Philippe Vandermaelen. Le 8 septembre 1835, il retire à la Ville de Bruxelles son passeport pour le Brésil ; son coéquipier Charles-Désiré Jacquot (1819-1899), le lendemain. Ce dernier, élève de l'Etablissement, remplace au pied levé Gheude, de petite santé, qui préfère finalement faire une année supplémentaire de médecine à l’Université. Les deux jeunes Bruxellois, de 23 et 16 ans, sont qualifiés de naturalistes sur leurs passeports. On y apprend que Ghiesbreght est plutôt grand pour l’époque (170 cm), qu’il a les cheveux châtains et les yeux bleus.

Le 27 septembre 1835, les quatre jeunes explorateurs s’embarquent à Anvers pour Rio de Janeiro qu’ils atteignent le 20 décembre suivant, après quatre-vingt-cinq jours de traversée. Ils parcourent le Brésil durant une année entière, pendant laquelle ils font au moins deux envois de caisses d’objets d’histoire naturelle. Ils sont de retour à Anvers le 24 février 1837. Dans les cales du brick Sophia Dorothea, quarante-deux caisses et barriques d’objets d'histoire naturelle et de plantes. Ghiesbreght, chargé spécialement de la collecte d’animaux vertébrés, avait rapporté un grand nombre d'espèces rares du règne animal, entre autres trois à quatre mille oiseaux. Mais au Brésil, le zoologiste qu’il était était tombé définitivement amoureux de la botanique et des forêts luxuriantes de l’Amérique.

Suite au brillant succès de l’expédition, le trio formé par Ghiesbreght, Linden et Funck – Jacquot restant à Bruxelles – repart l’année-même pour un deuxième voyage scientifique de trois ans financé par le gouvernement. Chargés d’explorer la partie orientale de l'île de Cuba, ensuite les côtes du Honduras, la république de Guatemala, enfin la Colombie via l'isthme de Panama, ils embarquent au Havre vers le 1er octobre 1839. Après une traversée de cinquante jours, ils arrivent à La Havane en pleine épidémie de fièvre jaune. De Cuba, ils expédient au ministère de l’Intérieur belge une douzaine de caisses, les unes chargées de quelque deux cent cinquante plantes vivantes, dont plusieurs espèces inédites de palmiers et nombre de légumineuses inconnues en Belgique, et d’autres remplies de graines, poissons, crustacés, insectes et papillons.

A La Havane, les trois naturalistes reçoivent ordre de se joindre à la mission diplomatique que la Belgique envoyait au Mexique. C’est ainsi qu’ils arrivent à Vera Cruz en mars 1838. Après une halte à Jalapa et une autre à Mexico, Ghiesbreght et ses compagnons s’avancent vers l’intérieur du Mexique. Ils y rencontrent Henri Galeotti (1814-1858), envoyé par Vandermaelen, avec lequel ils gravissent, en août 1838, le pic d’Orizaba, dont le cratère culmine à 5 611 mètres. Depuis leur campement établi dans une caverne à 3 000 mètres d’altitude, ils collectent trois à quatre cents espèces de plantes. Ils iront encore explorer le Yucatán, les régions élevées du Chiapas, la partie septentrionale du Guatemala et le fertile Soconusco bordant l’océan Pacifique.

Ghiesbreght et Funck quittent le Mexique en août 1840, tandis que Linden, accablé par la fièvre jaune, attendra le mois suivant. Les deux premiers sont de retour en Belgique au mois d’octobre 1840. Leur dernier envoi, parti de Tabasco et Chiapas en juillet 1840, comportait notamment quatorze caisses contenant six cent soixante-six plantes vivantes, dont des palmiers et de nombreuses orchidées. Outre ces plantes, les plantes desséchées et les graines, et les dessins de Funck, les voyageurs ont envoyé et rapporté de nombreux animaux. La mission est un succès, même si les renseignements d’ordre commercial attendus ne sont ni très abondants ni très utiles. Des oiseaux recueillis par Ghiesbreght, Bernard du Bus de Ghisignies (1808-1874) identifiera nonante-neuf espèces inédites dans ses Esquisses ornithologiques.

Après un bref séjour en Belgique, Ghiesbreght repart seul début de mars 1841 à destination de Veracruz, où il arrive le 13 mai. Il entreprend cette fois un voyage d’exploration privé. Il est muni de quelques commandes, quelques fonds et des promesses de financement. Parmi les premiers commanditaires, Philippe Vandermaelen, les horticulteurs Louis Van Houtte (1810–1876) et Henri Galeotti, le Musée d’Histoire naturelle de Bruxelles, mais Ghiesbreght a également d’importantes commandes du Muséum national d'Histoire naturelle de Paris. Durant ce voyage, il visite les Etats du nord et du sud du Mexique, sillonne par trois fois la grande Cordillère d’océan à océan, traverse le plateau mexicain et fait l’ascension de quelques volcans. Grâce aux insistances de Linden et à l’appui du vicomte du Bus de Ghisignies, qui présidait à ce moment la commission chargée de préparer le transfert des collections du Musée de la Ville au gouvernement, il reçoit des subsides du ministère de l’Intérieur.

Après un bref et ultime retour en Belgique en 1856, Ghiesbreght retourne au Mexique. En 1862, il s’installe dans la capitale du Chiapas, San Cristóbal de las Casas. Collecteur indépendant renommé, il continue à parcourir la région en récoltant plantes et animaux, envoyant en Europe insectes, mollusques terrestres, orchidées, agaves et broméliacées. Les collections botaniques de Ghiesbreght se trouvent ainsi disséminées dans les musées et académies de Belgique, de France, d’Angleterre, de Suisse, d’Allemagne et de Russie tandis que gonfle le nombre d’espèces nouvelles remises aux herbiers ou introduites dans l’horticulture de ces pays.

Lorsque Rovirosa signe la biographie d’ « Augusto Bonifacio » Ghiesbreght, le jour de Noël 1888, cela faisait plus de cinquante ans que le Belge vivait au Mexique. Il avait alors 76 ans. Il avait mis fin à sa vie itinérante, mais, vigoureux et actif, « il emploie la plus grande partie de son temps à l’horticulture, et à prodiguer le bien à la classe plus défavorisée de la société qu’il a adoptée pour sienne. Ses services médicaux sont toujours à la disposition de ceux qui souffrent ; ses maigres ressources amènent le pain à la porte du nécessiteux ; ses actes révèlent tous que celui qui a lu dans le grand livre de la Nature a su comprendre les devoirs qui le lient à ses semblables. Pour cette raison, les habitants de Chiapas s’enorgueillissent de l’avoir dans leur capitale, de l’appeler compatriote, comme doivent l’appeler ceux qui aiment le progrès des sciences au Mexique ». Auguste Ghiesbreght meurt le 7 février 1893, à l’âge de 80 ans. Comme d’autres revues botaniques de par le monde, la Botanical Gazette de Chicago annonça dans son numéro de mai la mort du « well-known naturalist and explorer of Brazil, Central America and Mexico » dont les découvertes ont enrichi les collections de tous les principaux herbiers et jardins du monde. [2]

Marguerite Silvestre
Bibliothèque royale de Belgique, Cartes & Plans
24 avril 2014
marguerite.silvestre@kbr.be

Sources inédites et archives

  • Archives générales du Royaume, Ancien fonds, Enseignement supérieur, n° 569 ; Ancien fonds, Enseignement, n° 454/1 (Musée royal d'histoire naturelle) ; Famille Renesse Breidbach, T 130, n° 58.
  • Archives de l’Université libre de Bruxelles, Répertoire contenant par ordre alphabétique les noms de tous les élèves qui ont été portés aux rôles des inscriptions de l'Université libre de Bruxelles pendant la première période trentenaire (1834-1835 à 1863-1834), f° 184, n° 1412.
  • Archives de la ville de Bruxelles, Conseil communal, Secrétariat, Procès-verbal de la séance du 20 septembre 1824 ; Conseil de Régence, Procès-verbaux, n° 3767 ; Etat civil ; Passeports à l’étranger, n°55, 1835-1836, f° 13 ; Population 

Sources imprimées

  • Bulletin de l'Académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles, 3, 1836, n° 5, p. 199 ; 4, 1837, p. 380 ; 5, 1838, pp. 42-43 et p. 370 ; 8, 1841, n° 5, p. 345 ; 10, 1843, n° 1, p. 213.
  • Lasègue (A.), Musée botanique de M. Benjamin Delessert. Notices sur les collections de plantes et la bibliothèque qui le composent ; contenant en outre des documents sur les principaux herbiers d'Europe et l'exposé des voyages entrepris dans l'intérêt de la botanique, Paris, Fortin et Masson,1845.
  • Rovirosa (J. N.), Vida y trabajos del naturalista belga Augusto B. Ghiesbreght, explorador de Mexico, in La Naturaleza. Periodico cientifico de la Sociedad mexicana de Historia natural, Segunda serie, I, Mexico, 1891, pp. 211-217.
  • Le Belge, 21 août 1826 et 20 août 1828 ; L'Emancipation, 13 mars 1841 ; L’Indépendance belge, 3 juillet 1856 ; Journal de Bruxelles, 30 juin 1856 ; Journal du commerce d'Anvers, 26 février 1837 et 9, 10 et 19 avril 1838 ; Journal de La Haye, 15 août 1844 ; Moniteur belge, 29 octobre 1842 ; L'Observateur, 24 avril 1838, 3 février et 13 mars 1841, 1er mai 1844; Le Précurseur, 24 et 26 février 1837, 3 mars 1837,12 mars 1841 ; L'Union, 17 novembre 1836, 3 mars 1837.

 

Travaux scientifiques

  • Silvestre (M.), Autour de Philippe Vandermaelen. Répertoire biographique des collaborateurs de l’Etablissement géographique de Bruxelles et de l’Ecole Normale, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 2014.
  • Silvestre (M.), L’Etablissement Géographique de Philippe Vandermaelen. Histoire de la première entreprise cartographique et scientifique de la Belgique indépendante, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 2015.

 


[1] Notons que le biographe mexicain de Ghiesbreght, le naturaliste José Narciso Rovirosa Andrade (1849-1901), place en vrac, entre 1830 et 1834, des études à Paris, un doctorat acquis officieusement à l’âge de 21 ans, mais confirmé des années plus tard parce que « les statuts exigeaient que les aspirants aient 25 ans », cinq années de service militaire, dont, en 1830, un « engagement comme volontaire, en qualité de médecin, dans les rangs de l’armée qui luttait pour l’indépendance de la nation ». Nous n’avons trouvé aucun indice allant dans ces directions. Signalons que Rovirosa n’avait pas personnellement connu le personnage. Il semble incontestable néanmoins que Ghiesbreght avait des notions de médecine et qu’il en a fait profiter la population locale. A cette époque, cette pratique n’avait rien d’exceptionnel.

[2] Botanical Gazette, University of Chicago Press, 18, 1893, p. 194. La revue renvoyait à la monumentale Biologia Centrali-Americana où, disait-elle, un coup de œil suffit pour découvrir la vaste étendue des travaux de Ghiesbreght, attestée par les noms spécifiques de nombreuses plantes et animaux.

 

Tomaison

Biographical Dictionary of Overseas Belgians