Le Mouvement Géographique: journal populaire des sciences géographiques illustré de cartes, plans et gravures
Tous les volumes de la revue géographique belge Le Mouvement Géographique, publiés entre 1884 et 1922, ont été récemment numérisés par la Bibliothèque de l’Université de Gand. Le projet a été réalisé à l’initiative et avec le soutien de l’Académie royale des Sciences d'Outre-Mer et du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren. L’ensemble de la collection peut être consulté librement en texte intégral via le catalogue en ligne de la Bibliothèque universitaire de Gand.
( permalink: https://lib.ugent.be/catalog/ser01:000276422 ).
Le périodique, ayant pour intitulé complet Le Mouvement Géographique: journal populaire des sciences géographiques illustré de cartes, plans et gravures, est une source importante pour l’histoire de l’expansionnisme et du colonialisme belges à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Le magazine – conçu comme un journal grand format – illustre la transformation de la géographie en science impériale sur une période de près de quatre décennies. Toutes les régions du monde sont abordées, mais Le Mouvement Géographique s’intéresse surtout aux évolutions politiques, économiques et sociales de l'Afrique centrale.
Toutes les phases de l’exploration occidentale, de la conquête et de l’assujettissement du bassin du Congo y sont documentées dans une perspective «occidentale», «léopoldienne» ou «belge»: les opérations léopoldiennes de l’Association internationale du Congo, la création en 1885 de l’État Indépendant du Congo dont Léopold II (1835-1909) devint le souverain, le développement tumultueux d’un appareil d’État, l’attribution de territoires aux sociétés concessionnaires et la création d’une économie prédatrice avec tous ses excès inhumains, et enfin, après la prise de pouvoir par la Belgique en 1908, la poursuite du développement du pays en tant que colonie sous le nom de Congo belge.
Le Mouvement Géographique, dont le premier numéro parut le 6 avril 1884, est une publication de l’Institut national de Géographie, fondé à Bruxelles en 1882. Cette société anonyme était dirigée par les éditeurs Henry Merzbach (1837-1903) et Théodore Falk-Fabian (1845-1928), tous deux d’origine polonaise. Les premiers actionnaires provenaient principalement de l’élite financière belge et de l’entourage de Léopold II. L’Institut fut immédiatement impliqué dans la propagande en faveur des projets de Léopold II en Afrique. Il publia des brochures renforçant les revendications des organisations léopoldiennes sur la zone située le long du Congo. Les premières cartes revendiquant réellement le territoire autour des stations que les associés de Léopold II avaient fondées au Congo provenaient des ateliers de l’Institut.
En 1884, l’Institut lance Le Mouvement Géographique. L’objectif de ce magazine bimensuel était de vulgariser les connaissances géographiques et d’informer le grand public sur ce qui se passait dans le monde. De brefs articles, interviews et actualités y furent publiés, souvent illustrés de gravures, de cartes, de photos et de statistiques. Parallèlement, Le Mouvement Géographique devint, dès son premier numéro, un véritable porte-parole des organisations œuvrant pour Léopold II en Afrique. Le rédacteur en chef, qui insuffla au périodique son propre caractère, était le géographe et historien de l’art industrieux Alphonse Jules Wauters (1845-1916) qui, en qualité de géographe de salon à Bruxelles, a synthétisé une multitude de données obtenues grâce à un vaste réseau d’informateurs.
En 1890 s’ouvre une nouvelle ère pour Le Mouvement Géographique. Le magazine devient la propriété de la Compagnie du Congo pour le Commerce et l’Industrie, société dirigée par Albert Thys (1849-1915). Dès lors, la revue s’intéressera de plus en plus aux projets des entreprises belges au Congo, notamment ceux appartenant au portefeuille du groupe Thys. Les articles sur la réalisation de la ligne ferroviaire entre Matadi et le Stanley Pool en sont un exemple. Dans le même temps, on constate que Le Mouvement Géographique se fait moins «léopoldien» et commence à mettre l’accent sur «les intérêts belges au Congo». Finalement, le périodique se mue en une tribune critique favorable à la prise de contrôle du Congo par la Belgique. Jusqu’à sa mort, Wauters continuera à marquer de son empreinte le contenu du Mouvement Géographique.
La lecture du Mouvement Géographique en tant que source historique doit s’accompagner d’une bonne dose de critique historique. Il offre néanmoins un panorama riche et complet de données très diverses sur l’impérialisme occidental dans le monde, et plus particulièrement en Afrique. Les cartes du magazine sont des documents temporels uniques.
Jan Vandersmissen
Universiteit Gent
Vakgroep Geschiedenis
Membre de l'Académie Royale des Sciences d'Outre-mer
Littérature
Brugaillère, Marie-Christine. ‘Un journal au service d’une conquête: Le Mouvement géographique (1884-1908)’. Textyles. Revue des lettres belges de langue française, nr. Hors-série n° 1 (1993): 23–35.
Dupont, Colin. ‘L’Institut national de Géographie: les grandes ambitions d’une éphémère maison d’édition’. Belgisch Tijdschrift voor Filologie en Geschiedenis 99 (2021): 899–930.
Henry, Elise. ‘Le Mouvement Géographique, entre géographie et propagande coloniale’. Belgeo 9, nr. 1 (2008): 27–46.
Nicolaï, Henri. ‘Le Mouvement Géographique, un journal et un géographe au service de la colonisation du Congo’. Civilisations, nr. 41 (1993): 257–77.
Vandersmissen, Jan. Koningen van de wereld. Leopold II en de aardrijkskundige beweging. Leuven-Den Haag, Acco, 2009.