HABIG (Jean-Marie)

HABIG, Jean-Marie (Geel, 12 septembre 1908 - Evere, 8 juillet 1993), médecin et théoricien colonial

Fils d’un ancien agent de l’Etat Indépendant, Jean-Marie Habig est élevé dans le souvenir des pionniers du Congo léopoldien. En 1920, son père crée les Journées Coloniales Belges. Inspirées des Imperial Days britanniques, ces Journées visent à promouvoir la culture coloniale en métropole. Cet événement annuel s’adresse en priorité à la jeunesse scolarisée et cherche à susciter parmi elle des futures vocations coloniales.  Imprégné de cet esprit de propagande, Jean-Marie Habig s’oriente vers une carrière africaine et militaire. Après une première année de médecine à l’Université Libre de Bruxelles, il rejoint l’armée comme engagé volontaire au 4e corps médical en septembre 1929.  Il termine ses études en 1934, avec le grade de sous-lieutenant médecin et réalise un stage dans le service ophtalmologique d’un hôpital militaire français à Tunis. Attaché d’abord à l’hôpital militaire de Bruxelles, il est mis ensuite à la disposition du Ministère des Colonies à partir du 11 mars 1935. Au Congo belge, il travaille comme médecin au service du gouvernement, à Léopoldville dans un premier temps, puis à Basankusu, dans l’Equateur. Plus tard, Habig évoquera à de nombreuses reprises le caractère itinérant de son travail, qui le mettait en contact avec des populations « reculées », incarnant à ses yeux une forme pure de primitivité.

Cécile Ooms, son épouse depuis 1933, accompagne Habig pendant son terme africain. La santé fragile de celle-ci est, semble-t-il, à l’origine du retour définitif du couple en Belgique en 1938. Le médecin réintègre l’armée belge et est désigné en août 1938 pour l’hôpital militaire de Berverloo, avant de rejoindre un mois plus tard le 8e régiment de ligne, et enfin, en septembre 1939, le deuxième régiment des carabiniers-cyclistes. Au moment de la débâcle de 1940, il se retrouve dans le Sud de la France entre mai et août. Il est ensuite attaché, à titre provisoire, à la Croix Rouge de Belgique. Directement après la Libération, il sert comme médecin à l’hôpital de l’armée belge à Durry, en Irlande du Nord, où plusieurs brigades d’infanterie sont envoyées faire leur classe. De retour à Bruxelles, il exerce à l’hôpital militaire pendant plusieurs années. Nommé major médecin en 1953, il est mis à la pension de l’armée le 1er avril 1958 et se consacre ensuite exclusivement à sa pratique privée de médecin ophtalmologue.

Pendant la deuxième guerre mondiale, Jean-Marie Habig s’insère dans la sphère coloniale en Belgique. Il est par ailleurs reconnu comme Résistant Armé pour la période du 1 novembre 1943 au 14 octobre 1944, durant laquelle il organise l’hôpital secret des Milices Patriotiques du Front de l’Indépendance. A partir de 1943, il participe également à l’organisation des cours coloniaux de Bruxelles, dispensant des leçons d’hygiène tropicale aux jeunes hommes et aux jeunes femmes qui attendent la fin de la guerre pour rejoindre le Congo. Entre avril et juillet 1944, il réunit ses notes de cours dans une édition provisoire composée de trois courts volumes.  Evoquant plus tard ce premier enseignement colonial du temps de l’occupation, il affirme son caractère clandestin, mentionnant à plusieurs reprises que ses notes de cours avaient été transmises en secret aux prisonniers de guerre belges. En 1945, Habig publie un livre, Les bases scientifiques de l’Etat moderne, également issu d’un cours professé durant les derniers mois de la guerre. Habig y développe une critique de la « société moderne, froide et inhumaine [qui] a détruit une symbiose utile au bonheur ».[1] Le livre cherche pourtant à préparer la reconstruction de la Belgique sur des bases technocratiques, patriotiques et élitistes qui auraient remplacé les querelles politiques de l’avant-guerre. Le livre ne comporte presqu’aucune référence directe au fait colonial, mais participe du même programme de régénération nationale que le médecin met en scène dans les cours d’hygiène et de préparation à la vie coloniale qu’il continue à délivrer, après la guerre, au sein « de cours privés, vivotant dans la pauvreté »[2] de la Royale Union coloniale belge.

La structure éphémère au sein de laquelle Habig dispense ses cours dans les derniers mois de la guerre s’appelle le Centre Belge pour l’Etude des Facteurs Humains. Nous ne disposons que de quelques informations sur ce centre, mais son intitulé ainsi que le contenu de ses enseignements indiquent l’influence forte des thèses d’Alexis Carrel sur le médecin bruxellois. L’homme cet inconnu, le best-seller de Carrel, constitue la première ressource théorique de Habig dans les années quarante, en dépit de l’opprobre jetée sur le Prix Nobel français suite à son engagement dans le régime de Vichy. De Carrel, Habig retient surtout le mariage baroque entre scientisme et mysticisme, patriotisme et élans anti-démocratiques, élitisme technocratique et anti-modernisme. Outre Les bases scientifiques de l’Etat moderne, l’influence de Carrel sur Habig se fait particulièrement voir dans ses deux volumes d’enseignement colonial hygiénique et « psycho-social » publiés après la guerre: Enseignement médico-social pour coloniaux (1946) et Initiation à l’Afrique (1948). Ces deux volumes, ainsi que quelques articles publiés à la même époque, témoignent notamment de la place centrale accordée par Habig à la famille blanche dans l’avenir de la colonisation au Congo. C’est autour de cette « cellule de base » que le médecin organise son premier enseignement, consacrant notamment plusieurs chapitres de ses livres aux problèmes de la femme blanche dans la colonie : sa vie sociale, l’accouchement, et l’éducation des enfants. Par ailleurs, Habig présente l’Afrique Centrale comme un milieu propice à la refondation de la civilisation occidentale décadente. La colonie doit offrir aux hommes blancs la possibilité d’une vie plus active et plus virile, et à la famille blanche l’occasion de devenir un exemple vivant, censé guider les colonisés vers un niveau supérieur d’hygiène, de religion, de moralité, d’éthique sexuelle, et d’industrie. 

En 1952, Habig publie une nouvelle version de son enseignement colonial. Vivre en Afrique Centrale : Santé, hygiène, morale comporte toute une série de modifications par rapport aux volumes publiés dans les années quarante, et tente de répondre aux critiques de la colonisation européenne en Afrique. Le sous-titre du livre, Enseignement médico-social pour Africains, participe de la stratégie rhétorique déployée par les auteurs belges dans les années cinquante pour tenter de « dépasser » le régime colonial et d’annoncer l’émergence d’une future « communauté belgo-congolaise » qui assurerait la pérennité des liens entre les deux pays. Dès lors pour Habig, les « Africains » auxquels il s’adresse sont tout autant les jeunes Belges qui respecteraient les préceptes de son enseignement que les noirs « évolués » dont une poignée fréquentent déjà les écoles secondaires et supérieures de la métropole. A cette période, Habig manifeste un certain intérêt pour des auteurs noirs, comme Frantz Fanon, Alioune Diop et Alexis Kagame, ainsi que pour La Voix du Congolais, la revue des évolués publiée par le gouvernement colonial belge. Cependant, les tentatives de Habig d’inclure blancs et noirs dans un destin commun sont limitées par un a priori négatif sur les évolués, considérés par lui comme des individus déracinés, complexés, et foncièrement dangereux pour la présence belge en Afrique. Ce point de vue politique, comme toujours chez Habig, se rattache à un diagnostique biologique de la dégénérescence des évolués, qu’il établit à partir de ses trois ans d’expérience africaine: « Je dois vous dire que j’ai examiné les yeux de 80.000 d’entre vos pères, qui vivaient la vie primitive », écrit ainsi le médecin dans Vivre en Afrique Centrale. « Ils n’avaient aucun défaut des yeux tandis que les Noirs modernes sont myopes, hypermétropes ou presbytes ».[3]

En dépit de l’excentricité de son style et parfois de ses propos, le docteur Habig semble avoir joui d’une position de respectabilité dans le milieu colonial belge. Outre ses cours à l’Union Coloniale, il est membre de la Commission pour la Protection des Arts et des Métiers Indigènes, un contributeur à des revues coloniales comme Problèmes d’Afrique Centrale et la Revue Coloniale Belge, et un conférencier régulier. Ses livres d’hygiène et de préparation coloniale connaissent un succès certain. Toutefois, à partir du milieu des années cinquante et jusqu’à sa mort en 1993, la direction qu’il donne à ses travaux semble l’avoir cantonné dans une position beaucoup plus marginale. Cette dernière phase de sa production intellectuelle l’amène de l’hygiénisme et de la psychologie vers la sémiotique et la linguistique. Délaissant les thématiques liées à la famille blanche ou aux évolués, il se centre sur les leçons apprises au contact des « primitifs » africains.  Il abandonne ses réflexions sur les conséquences « psycho-physiologiques » du climat tropical pour développer des théories sur le rythme, la musique, et la force vitale. Ces travaux, commencés dans les années 1950, aboutissent, à partir de la fin des années 1970, à une série de publications sur ce que Habig appelle le « langage dynamique international ». Habig proposa une théorie générale du langage, née de son expérience coloniale mais complètement ignorante du débat savant et de l’anthropologie linguistique.  Il postule que les langues bantoues démontrent une correspondance parfaite entre signifié et signifiant, forme et sens. Chaque chose aurait une et une seule expression langagière qui lui correspondrait parfaitement et exprimerait son sens – ce qu’Habig appelle sa dynamique. En quelque sorte, Habig affirme que tous les mots des langues bantoues fonctionnent comme des onomatopées.  Cette expression parfaite de la chose par le mot aurait été perdue en grande partie dans les langues européennes. Habig suggère que l’étude de la linguistique bantoue est à même d’offrir une clé pour comprendre les correspondances entre les différentes langues du monde. Il propose dès lors, à travers son enseignement, un nouvel esperanto qu’il espère voir adopter par les institutions européennes. Ce travail de longue haleine de linguiste amateur est demeuré sans aucun écho, et le nom du docteur Habig reste plutôt associé avec ses écrits sur l’hygiène coloniale.

 

Pedro Monaville (University of Michigan)
16 avril 2013
pmonavil@umich.edu

 

Sources

 

  1. Sources inédites

Ministère de la Défense, Centre de Documentation Historique de la Forces Armées, Bruxelles, dossier Personnel de Jean-Marie Habig. 

 

  1. Publications de Jean-Marie Habig

- Habig (J.-M.), Enseignement médical pour coloniaux, Bruxelles, édition provisoire non publiée, 1944.

- Habig (J.-M.), Colonisation des pays chauds, in Revue Coloniale Belge, 1945, n° 4, p. 12-13.

- Habig (J.-M.), Les bases scientifiques de l’Etat moderne, Bruxelles, Breuer, 1945.

- Habig (J.-M.), Enseignement médico-social pour coloniaux, Bruxelles, Editions Universelle, 1946.

- Habig (J.-M.), Initiation à l’Afrique Centrale, Bruxelles, Editions Universelle, 1948.

- Habig (J.-M.), Réponse du Dr Jean-Marie Habig, in Problèmes d’Afrique Centrale, 4 1951, n° 14, p. 279-289.

- Habig (J.-M.), Vivre en Afrique Centrale : Santé – Hygiène – Morale, Bruxelles, Editions Universelle, 1952.

- Habig (J.-M.), Méthode psycho-dynamique d’initiation aux langues bantoues, in Problèmes d’Afrique Centrale, 7, 1954, n° 25, p. 195-214.

- Habig (J.-M.), La valeur du rythme dans la musique bantoue, in Problèmes d’Afrique Centrale, 7, 1954, n° 26, p. 278-285,

- Habig (J.-M.), Langage dynamique international, Bruxelles, Jean-Marie Habig, 1979.

- Habig (J.M.), Langage dynamique international : Au-delà des mots, l’homme : cours et conférences, Bruxelles, Jean-Marie Habig, 1992.

 

  1. Autres sources publiées

- Carrel (A.), L’homme, cet inconnu, Paris, Plon, 1935.

- Storms (M.), Du code des mots à la sagesse du logos, D’après l’œuvre du docteur Jean-Marie Habig, Bruxelles, Le langage fondamental, 1991.

 

Travaux 

- Monaville (P.), Conseils aux partants : une lecture politique des manuels d’hygiène coloniale, in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, 36, 2006, n° 1-2, p. 97-125.

- Poncelet (M.), L’invention des sciences coloniales belges, Paris, Karthala, 2006.

 


[1] Habig (J.-M.), Les bases scientifiques de l’Etat moderne, Bruxelles, Breuer, 1945, p.22.

[2] Habig (J.-M.), Réponse du Dr Jean-Marie Habig, in Problèmes d’Afrique Centrale, 4 1951, n° 14, p. 286.

[3] Habig (J.-M.), Vivre en Afrique Centrale : Santé – Hygiène – Morale, Bruxelles, Editions Universelle, 1952, p. 237.

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Tomaison: 

Biographical Dictionary of Overseas Belgians