Molitor, Lambert (Erezée, 14 octobre 1875 - Bruxelles, 9 juillet 1959), fonctionnaire, administrateur général des douanes de la Perse.
Lambert Molitor[1] est issu d’une famille nombreuse ardennaise. Après des études à Marche-en-Famenne et à Arlon, il entre à l'Administration du cadastre en 1894, où son père l’avait précédé, et ensuite à l'administration des douanes à Anvers. Pour soutenir leur mère sur laquelle pèse la charge de la famille nombreuse après le décès prématuré du père, plusieurs frères Molitor, dont Lambert et Camille, décident de rejoindre un petit groupe de fonctionnaires belges commis à la réforme des administrations de l’Empire perse depuis 1898.
A cette époque, les empereurs Qadjars de Perse manquent cruellement de moyens pour moderniser leur appareil d’État. Les douanes y sont sujettes au ‘fermage’ ce qui veut dire qu’elles étaient louées aux plus offrants pour des périodes déterminées. Pour y remédier, le shah Mozaffar-e-din se tourne vers la Belgique, une puissance économique sans prétentions impérialistes, dans le souci d’éviter l’ingérence des deux superpuissances qui menacent à l’époque l’intégrité du territoire national : le Royaume Uni et la Russie.
Lambert Molitor s'embarque pour le Golfe persique à la fin de l'année 1901. C'est sur les rives assez peu hospitalières de ce golfe qu'il occupera, à Bushehr, son premier poste d'inspecteur des douanes persanes, entre 1902 et 1904.
Après Bushehr, Lambert Molitor se rend à Nasratabad (aujourd'hui Zabol), dans la province du Sistan qui jouxte l'Afghanistan. C'est un poste difficile, rendu même délicat par la rivalité anglo-russe qui s'y manifeste. Conscient d'une relative hostilité des notables locaux vis-à-vis d'une administration désormais incorruptible, il s'applique à se faire admettre et même respecter. Lors d'une épidémie de peste au Sistan, il jouera un rôle non négligeable dans l'organisation sanitaire de la province. En octobre 1906, Lambert Molitor quitte la province pour occuper des fonctions plus importantes à Téhéran.
L'administration belge des douanes de Perse est devenue un département important. Le chef de la «mission», Joseph Naus, est nommé ministre persan des finances et de plus en plus de fonctionnaires belges sont engagés. Les recettes douanières sont en constante augmentation. Cependant, la situation interne se dégrade, les influences extérieures faussent le jeu politique et les étrangers deviennent la cible des différents partis d'opposition. C'est ainsi qu'au moment où Lambert Molitor prend ses fonctions à Téhéran, se déclenche un mouvement révolutionnaire qui balayera, notamment, la direction belge des douanes en Perse. Joseph Naus, à tort ou à raison, est suspecté de faire le jeu des Russes et sera sacrifié aux exigences de l'opposition constitutionnaliste.
Lambert Molitor est affecté à l'élaboration d'un embryon de cadastre destiné à servir de base à une réforme de l'impôt foncier. En 1908, il est nommé dans le Kurdistan persan, à Kermanshah, non loin de la frontière avec l'Irak. Le Kurdistan est une province troublée dans laquelle le pouvoir central et ses agents sont peu appréciés. C'est à Tabriz, capitale de la province septentrionale de l'Azerbaïdjan, que Lambert Molitor passera, avec sa femme et ses deux enfants, les quatre années de la Première Guerre mondiale. Comme autrefois au Sistan, il sera amené à sortir du cadre strict de ses fonctions à la douane pour organiser des services de ravitaillement, rendus indispensables par les combats incessants qui se déroulent en Azerbaïdjan entre les Russes et les troupes ottomanes. Nommé à la tête de l’alimentation de la ville le 24 septembre 1917, il tentera d'endiguer la famine en négociant, avec un certain succès, avec les Russes et ne quittera la ville avec les autres Européens, que devant l'avance des Turcs en 1918.
Rentré à Téhéran, et en raison des succès remportés à Tabriz, il se voit confier, fin juillet 1918, la direction des Services de l'alimentation et du ravitaillement de la capitale. La tâche du contrôle des domaines impériaux lui incombe également puisque l’approvisionnement de la capitale et de la province se fait surtout à partir de là. En effet, entre 1918 et 1919 la Perse perd approximativement le quart de sa population totale à cause de l’ingérence étrangère, de la guerre mais aussi de l’absence totale des autorités centrales. En 1920, le pays est au bord du gouffre. Certains spécialistes parlent de génocide.[2] À Téhéran, la population est plus nombreuse qu’à Tabriz et le degré de désorganisation plus grand encore. Lambert Molitor comprend que le problème est dû en grande partie aux spéculateurs qui soustraient leurs réserves de blé au marché. Lambert Molitor fait dresser un cordon militaire autour de la ville pour contrecarrer la fuite des stocks, fait saisir les boulangeries, les moulins et les entrepôts de l’État, ce qui lui attire l’animosité des grands propriétaires, des profiteurs et des spéculateurs. Il fait l’objet de calomnies, d’intrigues et est critiqué dans la presse. Mais une fois qu’il obtient le transfert de réserves des villages impériaux vers les entrepôts de Téhéran la situation s’améliore sensiblement et l’estime générale lui est acquise à tel point qu’il se voit offrir, le 8 mai 1920, la position d’administrateur général des douanes de la Perse.
Pendant les huit années qu'il passe encore en Perse, il dirige conjointement les douanes, certains services de l'alimentation et, ponctuellement, les services de la poste. Non content de remplir exactement son contrat, Lambert Molitor montre, pendant ses longues années en Perse, un grand intérêt pour le pays et ses habitants. Observateur attentif de la vie persane, il s'aide des très nombreux papiers qu'il ramène pour rédiger ses souvenirs, ainsi qu'une étude sur les pêcheries de perles et de nacre dans le Golfe persique.
Il est incontestable que, parmi les nombreux fonctionnaires belges qui ont été au service de la Perse entre 1898 et le début de la Seconde Guerre mondiale, il est un des seuls qui, grâce à ses compétences, a su effectuer en Perse un séjour d’une telle durée (de 1901 à 1928).
Eric Laureys
29 août 2013
Eric.LAUREYS@stis.belspo.be
Sources inédites
Archives du Palais royal, Mémoires de Lambert Molitor, Vingt-six années en Perse 1902-1928. Tome 1, 1ère partie, Au golfe Persique 1902-1904.
Archives du Palais royal, Mémoires van Lambert Molitor, Vingt-six années en Perse 1902-1928. Tome 2, 5ème partie, En Azerbaïdjan persan 1913 - 1918.
Archives du Service public fédéral des Affaires étrangères, Dossier ‘Belges en Perse’ 10640 - Fonctionnaires belges - Leur situation.
Travaux scientifiques
Destrée (A.), Les fonctionnaires belges au service de la Perse 1898-1915, Téhéran-Liège, Acta Iranica, Troisième série, Vol. 6, Bibliothèque Pahlavi, 1976.
Donckier de Donceel (A.), Lambert Molitor, in Biographie belge d’Outre-Mer, Vol. VIII, Bruxelles, Académie Royale des Sciences d’Outre-Mer, 1998, p. 300-302.
Keddie (N.), Roots of Revolution - An Interpretive history of Modern Iran, New Haven & London, Yale University Press, 1981.
Laureys (E.), Belgen in Perzië 1915-1941, verwezenlijkingen, verhoudingen en attitudes, Louvain, Inforient-Peeters Publishers, 1996.
Majd (M. G.), The Great Famine and Genocide in Persia, 1917-1919, Lanham, University Press of America, 2003.
Savory (R. M.), Social Development in Iran during the Pahlavi Era, in Lenczowski (G.), ed., Iran under the Pahlavis, Stanford, Hoover Institution Press, 1978, p. 88-89.
[1] Lambert Molitor est le père d’André Molitor (Kermanshah, 4 août 1911 - Ixelles , 4 juin 2005), grand commis de l'État belge, chef de cabinet du Roi Baudouin, président de la Fondation Roi Baudouin de 1977 à 1986 et professeur à l’UCL.
[2] Majd (M. G.), The Great Famine and Genocide in Persia, 1917-1919, Lanham, University Press of America, 2003, p. 1.
Biographical Dictionary of Overseas Belgians