LAMOTTE, Etienne (Dinant, 21 novembre 1903 – Bruxelles, 5 mai 1983), Indianiste, spécialiste du bouddhisme, professeur à l’Université catholique de Louvain.
Issu d’une vieille famille originaire d’Ave (province de Namur) assurant des fonctions de gestion et de représentation au service des comtes de Rochefort jusqu’à la Révolution française, Etienne Lamotte est le fils cadet d’une famille nombreuse. Son père, Georges Lamotte, est magistrat à Dinant, son frère ainé, Armand, prêtre.
Après de très bonnes humanités gréco-latines au Collège Notre-Dame de Belle-Vue à Dinant, il s’engage, à l’exemple de son frère ainé, sur la voie de la prêtrise. Il souhaite cependant poursuivre des études supérieures, ce que n’approuve pas son évêque. Il se voit dès lors contraint, avec le soutien du cardinal Mercier, de passer du diocèse de Namur à celui de Malines. Après le Grand Séminaire de Malines, il approfondit à Louvain sa formation de philologue classique, s’initie à la philosophie néo-thomiste et étudie le sanscrit, l’avestique et l’arménien avec Albert Carnoy. En 1927, il est envoyé à Rome où il poursuit l’étude du sanscrit avec Carlo Fomichi. Titulaire d’une bourse de voyage du Concours universitaire, grâce à sa thèse de doctorat en philologie orientale soutenue en 1929, il séjourne à Paris en 1931-32. Il y est l’élève de Sylvain Lévi, d’Alfred Foucher, de Paul Demiéville, de Marcelle Lalou et de Jean Przyluski. Il rencontre également Louis Renou, Jean Filliozat et Olivier Lacombe et noue de solides liens d’amitiés avec de nombreux orientalistes présents à Paris. Entre 1929 et 1938, il bénéficie, en outre, d’une guidance particulièrement attentive de Louis de La Vallée Poussin.
Après un court passage dans l’enseignement secondaire, il est appelé à l’Université catholique de Louvain, où il assume très tôt un certain nombre d’enseignements de philologie grecque et de langues orientales. Il y participe aux débuts de l’Institut orientaliste, dont il assume le secrétariat, avant d’en assurer la présidence entre 1950 et 1959. Il collabore de manière intense à la revue Le Muséon et prend la suite de L. de La Vallée-Poussin aux Mélanges Chinois et Bouddhiques qu’il sera amené à transformer en collection de monographies.
Pour Hubert Durt, un de ses plus brillants élèves, il laisse « une œuvre écrite bien ordonnée, restituant le plus fidèlement possible une pensée subtile, lointaine dans le temps et dans l’espace, mais dont la valeur est universelle et permanente ». Mais ce qui caractérise plus particulièrement cette œuvre, c’est sa remarquable construction, dont les travaux d’édition de textes, de traduction, d’analyse ou de synthèse, à la croisée des influences de S. Lévi et L. de La Vallée Poussin, se diffusent à la fois par le biais d’entreprises de grande ampleur et la publication d’articles dans de nombreuses revues belges et étrangères ou de multiples communications aux séances de travail des académies qui l’accueillent en leur sein. Très souvent d’ailleurs articles et communications constituent des « ballons d’essai » ou des préliminaires aux amples volumes publiés par la suite.
Comme le souligne d’emblée Hubert Durt, le premier travail publié par Etienne Lamotte est sa thèse de doctorat intitulée Notes sur la Bhagavad-Gita (1929), qu’il qualifie de « travail d’indianisme 'pur' », mais présentant déjà les caractéristiques essentielles de l’œuvre à venir : une « méthode rigoureuse » et un « goût pour les œuvres fondamentales ». Mais, dès 1932, il se trouve confronté à un choix entre études indiennes et étude du bouddhisme, qui le verra résolument opter pour l’étude des textes de ce dernier. Trois ouvrages publiés avant la Seconde Guerre mondiale confirment cette orientation et touchent plus particulièrement au « bouddhisme "idéaliste" du Yogâcàra-vijnànavâda », sur lequel avaient également travaillé L. de La Vallée Poussin et Sylvain Lévi. La Seconde Guerre mondiale modifie, de son propre aveu, les intérêts de recherche de Lamotte et oriente son travail « vers l'attitude radicalement critique du Madhyamaka », sur laquelle il va travailler jusqu’à son décès en analysant le Traité de la Grande Vertu de Sagesse. Ce qui ne l’empêchera pas de publier une magistrale Histoire du Bouddhisme indien, prolongeant et mettant à jour les synthèses critiques de L. de la Vallée Poussin parues quelque un quart de siècle plus tôt.
Ces travaux lui valent d’importantes reconnaissances des milieux orientalistes. C’est ainsi qu’il est invité à faire une série de conférences au Collège de France (1951), puis à la Fondation Cini de Venise (1959), collaborant par la suite aux travaux du séminaire d’études bouddhiques de Göttingen et effectuant un voyage « triomphal », selon les termes de Hubert Durt, au Japon (1977), à l’invitation de la Japan Foundation. Membre de l’Académie royale de Belgique (1951), il est également membre de l’Institut de France (1959), de la British Academy (1970), de l’Académie chinoise de Hwa-kang (1968), de l’Académie des Sciences de Göttingen(1973), titulaire du Prix Stanislas Julien (1946), de la Médaille d’or de la Fondation Franqui (1953), du Prix Goblet d’Alviella (1961) et du Prix quinquennal des sciences historiques (1962), membre d’honneur de l’Ecole française d’Extrême-Orient (1952), de la Société asiatique (1960), de la Royal Asiatic Society of Great Britain (1967), de l’International Association of Buddhist Studies (1976). Consulteur, puis correspondant du Secrétariat pour les Non-chrétiens du Vatican, il devient prélat de la Maison de Sa Sainteté (1964) et reçoit le Doctorat Honoris Causa de l’Université de Rome (1967), de celle de Gand (1969) et de l’Université de Kelaniya à Sri Lanka (1982).
Paul Servais
28 avril 2017
paul.servais@uclouvain.be
Sources publiées
a) Publications d'Etienne Lamotte
Lamotte (E.), Notes sur la Bhagavad-Gïtâ, Paris, Geuthner, 1929.
Lamotte (E.), L'Explication des Mystères (Samdhinirmocanasutra), texte tibétain édité et traduit, Louvain, Université de Louvain, 1935 (Recueil des travaux publiés par les membres des Conférences d'Histoire et de Philologie, 2e série, 34e fascicule).
Lamotte (E.), Le Traité de l'Acte (Karmasiddhiprakarana) de Vasubandhu [édition de la version tibétaine, reproduction photographique de la traduction chinoise par Hiuan-tsang, traduction française annotée], in Mélanges Chinois et Bouddhiques, IV, 1936, pp. 151-263.
Lamotte (E.), La Somme du Grand Véhicule (Mahâyànansaingraha) d'Asanga, Tome I: Versions tibétaine et chinoise (Hiuan-tsang); Tome II: Traduction et commentaire, Louvain, 1938-39 (Bibliothèque du Muséon, vol. 7).
Lamotte (E.), L'Enseignement de Vimalakïrti: Vimalakïrtinirdesa, traduit et annoté, Louvain, 1962 (Bibliothèque du Muséon, vol. 51).
Lamotte (E.), La Concentration de la Marche héroïque (Sùramgama-samàdhi-sutra), texte traduit et annoté, in Mélanges Chinois et Bouddhiques, XIII, 1965.
Lamotte (E.), Histoire du bouddhisme indien, I, des origines à l'ère Saka, Bibliothèque du Muséon, vol. 43, Louvain, 1958.
Lamotte (E.), Le Traité de la Grande Vertu de Sagesse (Mahà-prajnà-pâramitâ-sàstra) de Nàgàrjuna, Tome I: Chapitres I-XV, Louvain, 1944; Tome II: Chapitres XVI-XXX, Louvain, 1949 (Bibliothèque du Muséon, vol. 18); Tome III: Chapitres XXXI-XLII, avec une nouvelle introduction, Louvain, 1970 (PIOL, vol. 2); Tome IV: Chapitres XLII (suite)-XLVIII, avec une étude sur la vacuité, Louvain, 1976 (PIOL, vol. 12); Tome V: Chapitres XLIX-LII, et Chapitre XX (2e série), Louvain-la-Neuve, 1980 (PIOL, vol. 24,).
Travaux scientifiques
Durt (H.), Étienne Lamotte 1903-1983, in Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient, lxxiv, 1985, pp. 1-28.
Durt (H.), Les études bouddhiques en Belgique. Introduction au catalogue de l’exposition de livres et périodiques consacrés au Bouddhisme, Bruxelles, avril 1972 (ronéotypé).
Ryckmans (J.), Notice sur Etienne Lamotte, in Bulletin de l’Académie royale de Belgique, 1985, pp. 191- 218.
Biographical Dictionary of Overseas Belgians