LACOURT, Jean-Baptiste (Jodoigne, 2 février 1810 – Concepción (Chili), ca 1890), voyageur naturaliste, cultivateur, industriel, aventurier
LACOURT, Honoré (Jodoigne, 20 mai 1812 – Concepción (Chili), date de décès inconnue), voyageur naturaliste, cultivateur, industriel, aventurier
L’histoire des indissociables frères Lacourt commence à Jodoigne, dans une famille aisée d'origine tirlemontoise. Le père, Jean-Pierre Lacourt, né le 15 mai 1774 à Zétrud-Lumay, fils de distillateur, était cultivateur, distillateur et brasseur. Il avait épousé à Wavre le 10 mai 1796 Elisabeth Brion, née à Wavre le 28 février 1775. Ils auront huit enfants. Les cinq premiers naissent à Jodoigne, dont Jean-Baptiste le 2 février 1810 et Jacques-Honoré deux années plus tard. Les suivants voient le jour à Bruxelles et à Etterbeek. Fondateur d’une distillerie modèle et réputé extrêmement riche, le père Lacourt était en réalité un chevalier d’industrie prompt aux investissements hasardeux, ne rechignant jamais à mentir et à disparaître lorsque les choses tournaient à son désavantage. [1] Cette hérédité pèsera, on le verra, sur ses deux fils.
Jean-Baptiste Lacourt fréquente probablement l’Université de Louvain. Il assure en tout cas y avoir suivi avec succès des cours de botanique. [2] En 1834, il est nommé secrétaire de l’Ecole Militaire nouvellement créée. Pendant ce temps, Honoré étudie et travaille à l’Etablissement géographique de Bruxelles fondé par le cartographe Philippe Vandermaelen (1795-1869). En 1836, il est affecté au cabinet d'anatomie de l’Etablissement et monte les squelettes de la collection. Les deux frères ont bénéficié dans l’institution des cours de sciences naturelles du docteur François-Joseph Meisser (1793-1867). [3]
Au début de l’année 1837, les frères Philippe et François Vandermaelen mettent sur pied une société dans le but d’explorer la Nouvelle-Hollande (Australie), l'île Van Diemen ( Tasmanie) et la Nouvelle Zélande. La Société des missions belges de l'Océanie était née. Elle réunit de grands noms du monde politique, de la haute administration et du monde scientifique et reçoit la haute protection du Roi. [4] Comme pour la précédente expédition qu’ils ont organisées au Brésil, [5] les Vandermaelen ont sélectionné, pour aller sur le terrain, un couple formé d’un zoologiste et d’un botaniste. La veille de la Noël 1837, les frères Lacourt embarquent à Londres sur le Ferguson. Après un voyage de quatre mois, ils débarquent à Sydney le 24 avril 1838.
Le séjour du duo en Australie dure un peu plus d’un an. Vers le début de juin 1839, ils rassemblent les objets d’histoire naturelle qu’ils ont récoltés – une caisse leur suffit – et expédient le tout en Belgique. Le colis arrive à Bruxelles dans le courant du mois d’octobre 1839. Quand les administrateurs ouvrent la caisse, ils découvrent avec consternation « quarante-six oiseaux dont la majeure partie est rongée par les vers », deux ornithorynques dont l'un est « gravement endommagé », une étiquette alléchante, portant les mots « très rare », abandonnée au fond de la caisse, sans trace du précieux volatile. Ils relèvent aussi trente-cinq orchidées et cent quarante-cinq paquets de graines, ainsi qu’« un paquet de semences mêlées ». [6] La déception est cruelle…
Entre-temps, les Lacourt avaient visiblement abandonné leur mission et quitté l’Australie pour la Nouvelle-Zélande. Le 20 août 1839, ils achètent à des chefs maoris 10 000 hectares de terres situées à Hokianga, le long d’un estuaire ouvert sur la côte nord-ouest de l’île du Nord. Ils y construisent une ferme et commencent à exploiter les forêts de pins kauris qui fournissaient un excellent bois de mâture et de construction pour l’exportation. Ils acquièrent également des terres à Kororareka, aujourd'hui Russell, à la Baie des Iles, sur la côte orientale de l’île du Nord, où s’étaient pressés les premiers colons et où l’évêque catholique arrivé l’année précédente avait fixé sa résidence. Ainsi, moins de deux ans après leur départ de Bruxelles, les Lacourt avaient décidé de s’établir définitivement en Nouvelle-Zélande, rompant sans autre forme ni information le contrat de quatre ans qui les liait à la Société des missions belges de l’Océanie et à tous ses actionnaires, le gouvernement belge et les Vandermaelen en tête… Dans la foulée, l’aîné prend le titre de docteur en médecine tandis que le cadet se présente comme artium magister, titulaire d’un master of arts. Désormais, ils signent « John Baptist La Court, M.D., and James Honorius La Court, A.M. ». [7]
Mais bientôt le Traité de Waitangi va mettre un terme à la surenchère spéculative anarchique à laquelle se livraient les Européens en Nouvelle-Zélande, en même temps qu’un frein définitif aux convoitises françaises à l’égard de ce territoire. Signé dans la Baie des Iles le 6 février 1840 par l’émissaire du gouvernement britannique et un certain nombre de chefs maoris, le traité autorise l’annexion de la Nouvelle-Zélande à l’Angleterre. [8] En vertu de ce traité, les naturels devenaient sujets britanniques, restaient maîtres de leurs propriétés foncières qu’ils ne pouvaient plus vendre à des particuliers, mais uniquement au gouvernement colonial. Les Lacourt sont en mauvaise posture : devant justifier la possession de leurs terrains, ils sont dans l’incapacité de brandir un quelconque titre de propriété, alors que les chefs maoris prétendaient n’avoir reçu en échange de leurs terres que quelques marchandises et quelques articles d’habillement en guise d’acompte.
Les investissements de Nouvelle-Zélande s’étant avérés une très mauvaise affaire, les frères Lacourt décident de se tourner vers des terres plus accueillantes. Le 26 avril 1842, ils achètent à un homme d’affaires anglais installé à Auckland 120 000 hectares sur l’île Chatham, soit les deux tiers de la plus grande des îles de l’archipel du même nom, situé à environ huit cents kilomètres à l'est de la Nouvelle-Zélande. Ils ignorent que trois semaines plus tôt, l’archipel a été intégré dans la colonie britannique et qu’il y est désormais interdit d’acheter librement des terres... L’acte de vente de Chatham se révèle caduc et les Lacourt se retrouvent ruinés.
Les deux aventuriers délaissent définitivement la Nouvelle-Zélande, non sans avoir pris soin de vendre une partie de leurs terres de Hokianga et d’abandonner à un propriétaire voisin leurs « droits » sur le reste de leurs propriétés… Ils sont à Sydney au début de l’été 1842. Le « docteur » Lacourt et son frère, qui se présentent comme d’anciens agents du gouvernement belge, se fondent dans la bonne société de la Nouvelle Galles du Sud. Mais six mois après leur arrivée, ils foncent tête baissée dans un nouveau marché de dupes. Ils achètent, le 24 janvier 1843, une des îles Marquises, Nuku-Hiva, contre tout ce qu’il leur reste : deux terrains à lotir à la Baie des Iles. Ils ignorent que les Marquises viennent d'être annexées par la France. Le titre de propriété qu’ils acquièrent est nul. La malédiction se répète.…
Les Lacourt ont misérablement échoué en Nouvelle-Zélande, rattrapés par la colonisation anglaise, puis bernés par un aventurier. Ils ont échoué de même en Australie, rattrapés par la colonisation française en Polynésie et bernés par un autre aventurier. Tous leurs plans, y compris les plus fous comme celui de l’aîné d’épouser une très jeune et très riche héritière, se sont brisés face à une réalité qui leur échappait. C’est encore la fuite en avant qu’ils choisiront. Ils décident de traverser l’océan Pacifique.
Honoré part le premier, dans le courant de 1843. Jean-Baptiste suit au mois de mai 1844. A dix mille kilomètres de l’Océanie, à Concepción, Chili, une nouvelle vie commence. Honoré, qui se fait appeler Santiago – son premier prénom est Jacques – commence par contracter un beau mariage. Le 3 janvier 1844, il épouse la fille d’une excellente famille. [9] Dès l’arrivée de Jean-Baptiste, désormais appelé Juan, ces fils et petits-fils de cultivateurs distillateurs déposent un brevet pour l’extraction du sucre de betterave et deviennent ainsi les précurseurs de cette importante industrie chilienne. Ils investissent également dans l’industrie des tuiles et des briques, montent une fabrique de bière et une distillerie d’alcool. Cette large gamme d’activités agricoles et industrielles ne suffit manifestement pas à l’aîné des deux frères. Jean-Baptiste Lacourt reprend ses activités médicales. Il ouvre dans la ville chilienne un cabinet médical et une pharmacie. Il dit à qui veut l’entendre avoir été reçu docteur en médecine à l’Université de Gand en 1832, avant d’être envoyé par le roi Léopold Ier aux Philippines (!), en Océanie et en… Amérique .[10] Il s’occupe aussi brièvement d’une affaire de bois de construction en Californie. Le 24 mars 1851, Jean-Baptiste se marie à son tour. Pour l’occasion, il adjoint une ou deux particules à son nom : c’est « Juan Lacourt y Brion y Beaulieu » qui épouse Luisa Mac-Donald Campbell, la fille du général Robert Mac-Donald et d’Elisabeth Campbell. Le couple aura trois enfants.
Jean-Baptiste Lacourt meurt à Concepción, probablement après Honoré, au début des années 1890. Ses héritiers se souviennent alors de l’île Chatham que leur père et leur oncle avaient achetée un demi-siècle auparavant. En 1893, ils déposent, au Department of Lands and Survey de Nouvelle-Zélande, un dossier de revendication de propriété au nom de « General - Lacourt - Macdonald family, Chile ». Le dossier sera clôturé en 1938. Les héritiers furent déboutés. Ils apprirent alors que les frères Lacourt avaient revendu l’île Chatham dès avril 1844 à un habitant de Sydney. Le produit de la vente, 1 000 livres, équivalant au prix d’achat, avait sans doute permis à Jean-Baptiste Lacourt de payer la traversée jusqu’au Chili le mois suivant. Ils apprirent aussi que les terres de Hokianga dont ils réclamaient la propriété et fournissaient le plan avaient également été vendues par leurs prétendus propriétaires avant leur départ de Nouvelle-Zélande. Ils ont peut-être réalisé alors que leur père et grand-père et leur oncle n’avaient été que des aventuriers dans ces îles d’Océanie où l’escroquerie mutuelle effrénée était la règle jusqu’à ce que la Couronne britannique ait décidé d’y mettre bon ordre. Mais jamais sans doute ils n’aie imaginé que leur aïeul, le prétendu « docteur » Lacourt, était un menteur.
Marguerite Silvestre
Bibliothèque royale de Belgique, Cartes & Plans
24 avril 2014
marguerite.silvestre@kbr.be
Sources inédites et archives
- Archives de l’Académie royale de Belgique, Bruxelles, Fonds Baron de Stassart, Correspondance reçue, 19345/1898.
- Archives New Zealand, Wellington, Department of Lands and Survey, LS 1 1761/22/1382/2. « General - Lacourt - Macdonald family, Chile. Claim to ownership of main land Chatham Islands allegedly purchased from natives in 1840 by Walter Brodie », 1893-1938.
- Archives New Zealand, Wellington, Internal Affairs, 1 1842/1715.
- Archives de l’Université libre de Bruxelles, Correspondance adressée aux membres du conseil d'administration, 1835, 01BC 1835 ; Minutes des procès-verbaux des séances du Conseil d'administration, vol. 4, n° 273-338, 1842-1844.
Sources imprimées
a) Publications de Lacourt
- Lacourt (J.B.), Économie industrielle. Industrie sétifère, in L’Horticulteur belge. Journal des jardiniers et des amateurs, II, 1834, pp. 36-38.
b) Autres sources imprimées
- Drapiez (A.), Notice sur l’Etablissement géographique de Bruxelles, Bruxelles, [Etablissement géographique de Bruxelles], 1836.
- Jomard (E.F.), Etablissement géographique de Bruxelles, in Bulletin de la Société de géographie, Paris, 6, octobre 1836, pp. 193-208.
Sites Internet
- Paperspast, National Library of New-Zealand : https://www.paperspast.natlib.govt.nz/.
- Waitangi Tribunal, New Zealand Ministry of Justice, Tāhū o te Ture : https://www.waitangi-tribunal.govt.nz/treaty/ ; https://www.justice.govt.nz/tribunals/waitangi-tribunal
Travaux scientifiques
- Silvestre (M.), Autour de Philippe Vandermaelen. Répertoire biographique des collaborateurs de l’Etablissement géographique de Bruxelles et de l’Ecole Normale, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 2014.
- Silvestre (M.), L’Etablissement Géographique de Philippe Vandermaelen. Histoire de la première entreprise cartographique et scientifique de la Belgique indépendante, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 2015.
[1] Voir notamment un dossier de police datant de 1822 le concernant aux Archives de la ville de Bruxelles (AVB, Police, MM 57). Lorsqu’il meurt le 13 juin 1835, le père Lacourt était devenu concierge.
[2] Cela ne lui permit en tout cas pas d’obtenir l'autorisation de suivre le cours de botanique de Jean Kickx à l’Université libre de Bruxelles (Lettre de Lacourt à Baron, secrétaire de l'Université libre à Bruxelles, 27 avril 1835. ULB, Correspondance adressée aux membres du conseil d'administration, 1835, 01BC 1835).
[3] Le professeur François-Joseph Meisser cite les frères Lacourt parmi ses anciens élèves dans un rapport qu’il adresse le 15 septembre 1841 à Théodore Verhaegen, inspecteur administratif de l'Université de Bruxelles (ULB. Minutes des procès-verbaux des séances du Conseil d'administration, vol. 4, n° 273-338, 1842-1844).
[4] Les statuts de la Société se trouvent dans le Fonds Stassart aux Archives de l’Académie royale de Belgique (ARB, Fonds Baron de Stassart. Correspondance reçue, 19345/1898). Le conseil d’administration était présidé par le baron de Stassart, gouverneur de la province du Brabant, président du Sénat et président de l’Académie royale de Belgique ; vice-présidents : Nicolas Rouppe, bourgmestre de la ville de Bruxelles, et Philippe Vandermaelen ; secrétaire pour la partie scientifique : le docteur Meisser, professeur à l’Université libre de Bruxelles ; trésorier : François Vandermaelen. Le conseil réunissait également Edouard Conway, secrétaire du Roi, Félix Dubois, examinateur permanent à l’Ecole Militaire, Barthélemy Dumortier, membre de la Chambre des Représentants, Sébastien Peeters, docteur en médecine à Isque et par ailleurs beau-frère des Lacourt, Edouard Smits, directeur du commerce au Ministère de l’Intérieur et des Affaires étrangères, Constantin Wesmael, professeur de zoologie à l’Ecole vétérinaire.
[5] Voir la notice consacrée à Gédéon Crabbe.
[6] Procès-verbal du 15 octobre 1839 et lettre de François Vandermaelen à la Société nationale, 15 octobre 1839 (Archives générales du Royaume (AGR), Bruxelles, Société générale de Belgique, 1ère série. Société nationale pour entreprises industrielles et commerciales, n° 3382).
[7] Hanson-Turton (H.), Maori Deeds of Old Private Land Purchases in New Zealand, From the Year 1815 to 1840, with Pre-Emptive and Other Claims, Wellington, 1882, p. 555. Voir aussi le dossier « General - Lacourt - Macdonald family, Chile » aux Archives New Zealand.
[8] Depuis 1788, les îles de Nouvelle-Zélande faisaient officiellement partie de la Nouvelle-Galles du Sud et relevaient de l’administration du gouverneur de Sydney. La Nouvelle-Zélande fut officiellement annexée par l’Angleterre et déclarée colonie distincte de la Nouvelle-Galles du Sud le 16 novembre 1840.
[9] Ignacia, fille de Manuel Gonzáles Palma et de Justa Pastora del Carmen Carvajal-Vargas y González de Estrada, fille d’un comte de Monte de Oro aux innombrables particules (G. Opazo Maturana, Familias del antiguo Obispado de Concepción, 1551-1900, Santiago, Zamorano y Caperán, 1957, p. 115). L’union n’aura pas de descendance. Le couple Lacourt-Gonzáles aura une fille, née en 1854, décédée en 1892.
[10] Ces informations proviennent des Genealogical Data regarding the Family Lacourt, incluses dans le dossier « General - Lacourt - Macdonald family, Chile » (Op. cit.).
Biographical Dictionary of Overseas Belgians