MORNARD, Jacques-Joseph (dit Joseph) (Bossut-Gottechain, 18 décembre 1864 – Téhéran, 29 août 1916), fonctionnaire, administrateur des douanes et trésorier général de la Perse.
Joseph Mornard est le quatrième de cinq enfants nés de Jacques Joseph Mornard (1815/16-1889) et de son épouse Marie Thérèse Virginie Charlier (1828-1910), tous deux cultivateurs à Bossut-Gottechain, en Brabant méridional. Nous ne disposons hélas que de peu d’informations concernant la jeunesse de Joseph Mornard. Son dossier personnel conservé aux archives de l’administration des douanes et accises mentionne qu’il maîtrise le français et le néerlandais, mais ses études demeurent inconnues. Il entre à l'administration publique le 28 juin 1887 en tant que commis agréé auprès du receveur des contributions à Anvers et est muté vers Zelzate comme vérificateur des douanes en 1899.
Ensuite, il décide de rejoindre un petit groupe de fonctionnaires belges commis à la réforme des administrations de l’Empire perse depuis 1898.[1] Embauché par le gouvernement persan en janvier 1900, il arrive à Anzali, port d’entrée sur la Caspienne, le 20 février 1900 et le 21 mars de la même année, il part pour Machadissar (Mashhad Sara) au sud de la ville de Babol pour prendre la direction des douanes de la province du Mazandaran.[2] En février 1901, le chef de la mission belge et administrateur des douanes en Perse, Joseph Naus, nomme Joseph Mornard au poste de chef de l'administration centrale à Téhéran. En cette qualité il étend le réseau de bureaux de douanes et se rend pour cela au nord de l'Azerbaïdjan, à savoir à Ardabil et dans le Mughan en août 1901. Le 23 mai 1903 il se marie avec la comtesse Marie Skirmunt Kosciesza (Kostzech) Gombrovitch (Moscou 1882-Bruxelles 1958) à Baku (Empire Russe, aujourd’hui Azerbaïdjan), qui lui donnera quatre fils, Pierre Léopold Joseph (°Baku 1904), Gaston Gérôme (Bruxelles 1906-Tournai 1995), Jacques (Téhéran 1908-Braine l´Alleud 1967) et Stanislas (Téhéran 1910-lieu et date de décès inconnus). En février 1907, alors qu’il est nommé Inspecteur général des douanes, nous le retrouvons à la tête du bureau des douanes à Tauris (Tabriz) mais le 13 mai de la même année, il est rappelé à Téhéran pour remplacer Joseph Naus, qui, ciblé par les nationalistes lors de la révolution constitutionnelle de 1906, perd le soutien du nouveau Shah Mohammad Ali Qadjar ainsi que du parlement persan, et se voit contraint de démissionner.
Joseph Naus cumulait les fonctions d’administrateur des douanes et du trésor, ce qui fit de lui le ministre des finances de fait de la Perse. Pour éviter tel cumul de pouvoir dans le futur, le gouvernement persan décide de confier la fonction de trésorier à un ressortissant d’un autre pays, mais le Français Jacques Bizot et ensuite l’Américain Morgan Shuster, pris dans des imbroglios politiques, s’avèrent incapables de relever le défi. Leur déchéance souligne la capacité, salutaire, des fonctionnaires belges en Perse à maintenir une stricte neutralité politique, la condition principale au maintien de la mission belge en Perse selon l’iranologue Annette Destrée. En effet, les qualités diplomatiques de Joseph Mornard lui valent de récupérer le poste de trésorier général jadis retiré à Joseph Naus le 11 juin 1912.
Joseph Mornard fonde l'administration du Trésor sur les principes déjà énoncés par Shuster. Il sépare les finances des impôts fonciers et douaniers. Un ingénieur agronome belge est recruté pour gérer l'administration des domaines importants (villages, forêts, rivières, distribution d'eau). Des entrepôts spéciaux sont érigés pour stocker les revenus en nature des taxes foncières et des domaines. Ils seraient utilisés très strictement et selon les besoins de la population. Des taxes sont perçues sur l'opium, les boissons alcoolisées et le ‘navaghel’ (sorte de brevet). Mornard organise aussi pour la première fois l'alimentation publique, qui souffre d'une concentration unilatérale entre certaines mains. Un entrepôt central de céréales est construit à cet effet. Une tentative est faite pour établir un cadastre. Une zone d'essai est délimitée au nord de Téhéran et l'ingénieur A. De Brucq, directeur général des Ponts et Chaussées, prend des mesures à cet effet dans une quinzaine de villages. Ce projet doit toutefois être abandonné, vraisemblablement suite aux troubles causés par l'avènement du nouveau Shah, opposé au régime parlementaire, et les plans sont perdus dans une révolte en 1908.[3]
Malheureusement pour Joseph Mornard, sa candidature au Trésor avait été encouragée par la Légation russe qui avait pressé le gouvernement persan de se débarrasser de Shuster. La Grande-Bretagne, autre puissance impérialiste présente en Perse et concurrente de la Russie, s’empresse d’accuser Joseph Mornard de nourrir des sympathies russes. Les finances ne laissent pas les Britanniques indifférents. La présence des fonctionnaires belges dans leur zone d’influence – le pacte russo-britannique de 1907 reconnaît une mainmise russe au nord et britannique au sud de la Perse – contrecarre plus d’une fois leurs actions arbitraires. Selon l’historienne américaine Nikki Keddie, il n'est pas clair si les Belges sont pro-russes. Quoi qu’il en soit, traiter les fonctionnaires d’agents à la solde des Russes est une façon de les disqualifier. D’autre part, les Russes donnent également du fil à retordre aux Belges. Le Ministre plénipotentiaire de Russie, Kosrovetz, entretient des ambitions qui outrepassent le pacte russo-britannique. Il entreprend de lever ses propres impôts dans la province d’Azerbaïdjan et nourrit l’ambition de réunir celle-ci avec l’Azerbaïdjan russe adjacent.
Finalement, Joseph Mornard, lassé par l'entourage corrompu du Shah, par l’attitude des propriétaires terriens lésés et par les manœuvres politiques russes et britanniques, démissionne de ses postes de trésorier et d’administrateur de douanes en été 1914.[4] La plupart des Belges, qui forment à l’époque une véritable colonie de plusieurs centaines de personnes, suivent son exemple. Seuls quelques-uns resteront en Perse après 1915. Le Belge J.B. Heynssens reprend le travail de Joseph Mornard en 1915. Ce dernier demeure à Téhéran pour se consacrer à son rapport financier mais meurt d'épuisement en 1916. Il est peut-être enterré dans un cimetière pour étrangers à Téhéran.
L’expert financier américain Arthur Chester Millspaugh (1883-1955), appointé en tant que conseiller par le gouvernement persan de 1922 à 1926 et auteur de plusieurs œuvres sur la question, pense que Joseph Mornard n'apporta aucun changement fondamental ni ne réalisa de gains financiers importants. Mais l’entente entre Millspaugh et les Belges était mauvaise et l’on peut donc craindre un certain parti-pris de sa part. Par contre, selon Hassan Naficy (1896-1968), docteur en droit et en sciences financières du Ministère des Finances à Paris, Mornard était bel et bien en passe d'équilibrer le budget de la Perse et de restaurer l'indépendance financière. Cependant, il disparut de la scène trop tôt pour atteindre son but.
Divers gouvernements étrangers lui décernèrent des distinctions honorifiques, preuve de l’audience internationale de son activité en Perse [5]: l’insigne croate de première classe ; l’emblème de la couronne prussienne ; la médaille de l’Ordre impérial du Lion et du Soleil du premier degré avec support vert de Perse. Il fut en outre nommé Chevalier de l'Ordre de Léopold en 1910 et Officier de l'Ordre de la Couronne le 26 février 1912.
Eric Laureys
5 avril 2022
Sources inédites
Archives générales du Royaume, Ministère des Finances, Administration des contributions directes, douanes et accises, 6B 62.292-294, Boîte 408.
Archives générales du Royaume, Ministère des Finances, Administration des contributions directes, douanes et accises, Feuille de signalement, Direction d'Anvers.
Archives du Ministère des Affaires étrangères, Fonctionnaires belges en Perse, 10640, n° 130/534/222 – Fonctionnaires belges – Leur situation : 25 février 1924.
Archives du Palais royal. Mémoires de Lambert Molitor, Vingt-six années en Perse 1902-1928. Tome 2, deuxième partie, Sistan, frontière afghane 1904-1906.
Millspaugh (A.C.), Americans in Persia, New York, Da Capo Press, 1976.
Millspaugh (A.C.), The American Task in Persia, New York-London, The Century Company, 1925.
Papiers André Molitor, L'œuvre des fonctionnaires belges en Perse – D'après les souvenirs de quelques-uns d'entre eux, 50 pp.
Sources en ligne
Contzen (B.), Arbre généalogique (https://gw.geneanet.org/bcontzen?n=mornard&oc=&p=jacques+joseph).
Political Studies and Research Institute (Iran), Les étrangers en Iran (Joseph Mornard) (http://pchi.ir) (en persan).
Sepehr (A.A.), L'Iran dans la Grande Guerre (http://pchi.ir) (en persan).
Travaux scientifiques
Destrée (A.), Les fonctionnaires belges au service de la Perse 1898-1915, Téhéran-Liège, Bibliothèque Pahlavi, 1976 (Acta Iranica, troisième série, vol. 6).
Kazemzadeh (F.), Russia and Britain in Persia 1864-1914, New Haven & London, Yale University Press, 1968.
Keddie (N.), Roots of Revolution. An Interpretive History of Modern Iran, New Haven & London, Yale University Press, 1981.
Laureys (E.), Belgen in Perzië 1915-1941, verwezenlijkingen, verhoudingen en attitudes, Louvain, Inforient-Peeters Publishers, 1996.
Naficy (H.), L'impôt et la vie économique et sociale en Perse, Paris, Jouve & Cie, 1924.
Joseph Mornard entouré de sa famille, probablement à Téhéran vers 1913 (coll. privée Nele Leloup)
[1] Voir la notice ‘Georges de Raymond’ pour une description plus conséquente de ce qui fut appelé « la mission belge en Perse ».
[2] Témoignage de Nele Leloup, arrière-petite-fille de Joseph Mornard du 4 février 2022, et Arbre généalogique en ligne de Baudouin Contzen (https://gw.geneanet.org/bcontzen?n=mornard&oc=&p=jacques+joseph).
[3] Papiers André Molitor. L'œuvre des fonctionnaires belges en Perse - D'après les souvenirs de quelques-uns d'entre eux. pp 19-21, 26.
[4] Deux dates sont disponibles, l’une, le 2 juillet 1914 est mentionnée dans : Papiers André Molitor. L'œuvre des fonctionnaires belges en Perse – D'après les souvenirs de quelques-uns d'entre eux, p. 14, l’autre, le 1er septembre 1914, dans Political Studies and Research Institute (Iran), Les étrangers en Iran (Joseph Mornard) (http://pchi.ir), sans que ces deux dates ne soient formellement rattachées à l’une ou l’autre démission.
[5] Sepehr (A.A.), L'Iran dans la Grande Guerre, p.154 (http://pchi.ir) et Archives générales du Royaume, Ministère des Finances, Administration des contributions directes, douanes et accises, 6B 62.292-294, Boîte 408.
Biographical Dictionary of Overseas Belgians